Un document interne des Nations unies estime le nombre de personnes en situation de famine au Tigré à 350 000. Entre temps, les 15 membres du Conseil de sécurité de l’ONU n’arrivent pas à se mettre d’accord.
Le contenu d’un document interne de l’Organisation des Nations unies (ONU) a été rapporté par l’agence de presse Reuters mercredi. Selon les estimations, plus de 350 000 civils dans le Tigré, au Nord éthiopien, sont déjà en situation de famine.
Le gouvernement d’Abiy Ahmed n’a pas tardé à contester l’analyse de l’ONU. L’estimation a été faite par le Programme alimentaire mondial (PAM). Elle a été basée sur des données du Comité des normes comptables internationales (IASC) et l’Agence pour les réfugiés (UNHCR). Si le gouvernement éthiopien, qui a provoqué directement le massacre du Tigré, avec l’aide de l’Erythrée, réfute cette analyse, c’est parce qu’elle est particulièrement pertinente et détaillée.
En l’occurrence, 18 ONG ont fourni les données de terrain, régulièrement, depuis des semaines. Selon la classification intégrée de la sécurité alimentaire (IPC), les Tigréens concernés sont « dans des conditions de famine IPC 5 », indique le document. Selon des diplomates, l’analyse de l’ONU devrait être rendue publique aujourd’hui.
Depuis des semaines, les ONG appellent les gouvernements éthiopien et érythréen à lever l’embargo sur le Tigré. L’ONU avait aussi relevé le fait que les personnes appartenant à l’Ethnie tigré sont systématiquement visées. Les activistes du monde entier ont dénoncé un génocide, qui utiliserait la famine comme arme. Pour rappel, les combats au Tigré ont commencé en novembre entre le gouvernement éthiopien, l’armée érythréenne, et le Front populaire de libération du Tigré (FLPT). Abiy Ahmed, le Premier ministre éthiopien et lauréat du Prix Nobel pour la paix en 2019 a accusé le FLPT d’attaquer des installations militaires du gouvernement fédéral.
An upsurge in fighting in Tigray at this critical juncture when close to 5m face starvation would be disastrous.
Plans by Addis for a decisive "final" campaign to crush TPLF for good is ill-judged.
The world must push for a pause in hostilities to feed the starving.
— Rashid Abdi (@RAbdiAnalyst) June 9, 2021
Le Tigré entre une crise humanitaire et les jeux de pouvoir
Depuis novembre, donc, des milliers de civils sont morts dans les raids de l’armée éthiopienne et son alliée érythréenne. Tous les pays du monde ont dénoncé le massacre des civils. L’Ethiopie est d’ailleurs sous le joug des sanctions internationales. Dernières en date, celles des Etats-Unis, précédemment alliés du régime d’Abiy Ahmed.
Rappelons aussi que l’Ethiopie et l’Erythrée avaient nié leur implication dans des crimes de guerre. Ainsi que la présence des troupes érythréennes au Tigré. Avant que la diplomatie éthiopienne ne revienne sur ses propos et annonce le retrait de l’armée érythréenne en mars. Abiy Ahmed avait aussi déclaré que la guerre était finie et que l’armée éthiopienne se retirerait, à deux reprises, depuis avril. Cependant, rien n’a changé, les bombardements éthiopiens continuent. Et les militaires de l’Amhara procèdent maintenant à exiler les civils tigréens dans le désert, après leur expulsion des camps de réfugiés.
Les Etats-Unis se sont imposés comme les premiers opposants au massacre des Tigréens. Il s’agit sans doute d’une tentative de remédier au soutien de l’ancien président Donald Trump pour Abiy Ahmed. L’Agence américaine pour le développement international (USAID) a déclaré hier que 180 millions de dollars en denrées alimentaires étaient prêts au déploiement au Tigré. L’USAID a appelé l’Etat éthiopien à lever l’embargo et arrêter de confisquer les aides humanitaires en direction du Tigré.
Ça Avance lentement au Conseil de sécurité de l’ONU
Pendant ce temps, l’Irlande et le Niger ont pris acte des graves développements du dossier tigréen. Depuis la dernière mise en garde de Mark Lowcock, les représentants des deux pays essayent d’organiser une réunion ouverte. A l’ordre du jour, « conflits et malnutrition » au Nord éthiopien. Si le dossier n’avance pas au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, c’est parce que deux pays-membres en ont fait une affaire personnelle.
Selon Ashish Pradhan, de l’International Crisis Group (ICG), les diplomates russes auraient « répandu l’idée que Lowcock outrepassait ses fonctions ». D’un autre côté, l’ambassadrice américaine Linda Thomas-Greenfield, tente d’endiguer la crise sur fond de la résolution de l’ONU sur la Birmanie. Entre les deux puissances, le Secrétaire adjoint pour l’UNHCR, Mark Lowcock, n’a pas assez de soutien à l’ONU. Il a exhorté le Conseil de sécurité d’entendre raison, insistant sur la responsabilité des dirigeants dans le massacre au Tigré. « Nous devons empêcher la tragédie humanitaire », a-t-il déclaré.
En Afrique, la situation de famine a été déclarée deux fois au cours des 10 dernières années. La première en Somalie en 2011, avec 30 000 morts. Ensuite au Soudan du Sud en 2017, avec 63 000 morts. Dans les deux cas, c’était la guerre civile et l’insouciance de la communauté internationale qui avaient causé ces tragédies.
En Ethiopie, les dernières famines ont eu lieu en 1984, lors de l’insurrection FLPT au Nord et Oromo au Sud. On compte entre 200 000 et 1 million de victimes. La situation n’est pas bien différente aujourd’hui. Même si le FLPT n’est plus aussi combatif que dans les années 1980, Abiy Ahmed est de facto le chef des Oromo, et le chef d’Etat éthiopien. Les antagonistes sont donc les mêmes, seuls les enjeux son différents.
We’ve received reports that the #Ethiopia/n govt is preparing a final offense to “complete” the job of genocide. This means full extinction of Tigrayans.
Impose a No Fly Zone NOW‼️@POTUS @SecBlinken
7 MILLION LIVES DEPEND ON IT❗️#Callitagenocide #NoFlyZone #TigrayGenocide pic.twitter.com/qs5LCBD3pj
— Tigray Action Committee (@Tigrayact) June 9, 2021