La coordination des actions citoyennes « Wakit Tama » a appelé à une manifestation hier à N’Djaména, la capitale Tchadienne. Dès la matinée, des manifestants ont été arrêtés par les militaires.
La répression violente des manifestations continue au Tchad. Devant le silence international, le mouvement citoyen Wakit Tama – comprenez l’heure est arrivée – a appelé à une marche ce mercredi 19 mai. Les forces militaires tchadiennes ont toutefois quadrillé la capitale. Les soldats ont attaqué les manifestants, dont le nombre s’élevait à plusieurs milliers.
Selon la presse locale, des centaines d’arrestations ont eu lieu. La presse internationale, de con côté, a maintenu le silence. En effet, les manifestants portaient des slogans plus dirigés contre la France que contre le gouvernement. Bien qu’il s’agisse de la même cause pour le mouvement Wakit Tama.
Depuis que Mahamat Déby, fils du défunt président Idriss Déby Itno, a assis son pouvoir à la tête du pays, le mécontentement des populations a pris plusieurs formes. Le chef du Conseil Militaire de Transition (CMT) n’a que peu de soutien populaire. Cependant, si sa relation avec la France était mitigée au début, elle l’est moins depuis la nomination du nouveau gouvernement. Du côté du président français, les choses étaient claires. Pour Emmanuel Macron, l’apparence d’un gouvernement civil serait primordiale.
Pour les citoyens tchadiens, cela relèverait de l’ingérence dans la souveraineté tchadienne. La longue relation que le régime Déby a entretenu avec la France avait longtemps exaspéré les Tchadiens. Wakit Tama ont donc choisi, cette fois, d’exiger la suppression de l’entrisme français au Tchad.
Un sentiment anti-français palpable
Les slogans des manifestants contiennent des phrases comme « non au CMT, non au gouvernement français ». D’autres civils avaient brandi des pancartes contenant « France hors du Tchad », ainsi que « Macron, occupe-toi de tes oignions ». Dans le communiqué appelant à la marche avortée d’hier, les responsables de Wakit Tama ont employé un langage plus poignant encore. Selon eux : « Le complot ourdi contre le peuple tchadien par l’Union africaine et la France exige que le peuple se libère », lit-on. Le communiqué avait été diffusé le 18 mai, la veille de la marche. Les forces de l’ordre et les militaires de N’Djaména s’attendaient donc à la manifestation.
Dans les fiefs de l’opposition, dans l’Est et le Sud de N’Djaména, les soldats sont intervenus violemment. Dès l’aube, les militaires ont malmené et arrêté des centaines de personnes. Face à cette répression, les manifestants ne s’étaient pas découragés. Ils sont sortis dans leurs quartiers respectifs, certains ont brûlé des drapeaux français. Dans l’après-midi du 19 mai, une centaine de soldats a pris d’assaut la demeure du président du Parti Réformiste, Yacine Abdramane Sakine. Ce dernier avait beaucoup critiqué la brutalité militaire contre les civils tchadiens. De plus, Sakine fait partie du clan des Déby, les zaghawas. A côté de l’opposant notoire Yaya Dillo, il s’agit d’un autre membre influent au sein du clan. Ce qui expliquerait le traitement particulièrement violent qu’il a subi. Les partisans de Sakine ont même déclaré qu’ils craignaient pour la vie de leur chef.
Du côté de la société civile, le secrétaire général de la Convention tchadienne pour les droits de l’homme (CTDDH), Mahamat Ibedou, a déclaré que les manifestations se poursuivraient jusqu’à ce que le gouvernement change de direction.
La société civile exaspérée
Ce que Mahamat Ibedou entendrait, c’est que la composition du gouvernement soit revue, et que la France n’intervienne plus dans les affaires souveraines du Tchad. Cependant, le représentant de la CTDDH serait favorable à l’inclusion des forces armées. Il exige cependant que toutes les parties prenantes soient représentées. A savoir les partis politiques, la société civile, le CMT et même les rebelles du FACT.
Selon l’agence de presse Spoutnik, Mahamat Ibedou serait sous pression de l’ambassadeur français au Tchad. Ce dernier l’aurait invité à « cesser les manifestations contre le nouveau pouvoir ». Néanmoins, pour le secrétaire de la CTDDH, le pouvoir tchadien serait « fabriqué par la France pour garder ses intérêts ».
Pour rappel, le 27 avril, une manifestation anti-française à N’Djaména a essuyé 16 morts. Dans une interview accordée au même média, Ibedou dénonce une « co-responsabilité de la France » dans la mort de ces jeunes. Il a aussi accusé le pays de Macron de vouloir « perpétuer les 30 ans de misère sous Idriss Déby par le biais de son fils ».
Au-delà des enjeux politiques internationaux, la situation socio-économique tchadienne est déplorable. La famille du défunt président aurait été à l’origine d’une ère de corruption, soutenue par l’entrisme français. Alors que les majors pétrolières françaises pillent les ressources tchadiennes, les revenus dirigés vers le Tchad finissaient dans les comptes de la famille Déby. De surcroît, le chômage, l’absence du développement, la répression brutale des partis politiques, les injustices sociales, ainsi que les disparités entre les régions ont aggravé ce contexte.
Aussi tragique qu’elle le soit, la mort d’Idriss Déby Itno représentait une occasion de changer ce paradigme. Pour les Tchadiens, Mahamat Déby ne représenterait en rien le chef auquel ils aspiraient. Cette opinion se confirme à coups de violences de l’Etat contre les civils.
احتجاج شعبي ضخم معادي للمجلس العسكري التشادي.
و الشعب التشادي يطالب بسيادته القانونيه كما كفل لهم الدستور ذالك.#تشاديون_ضد_التدخل_الفرنسي٣ pic.twitter.com/AjR0o57OUA
— Bin Taher Muhammad (@Tchadien00235) May 20, 2021