L’Europe coloniale a pillé autour de 193 000 œuvres d’art africaines. Lors de la période entre 1879 et 1971, ces artéfacts ont été transportés vers les musées européens. Les contestations des muséologues commencent à s’ébruiter, mais la restitution pourrait tarder.
Selon le journal français Le Monde, 150 000 œuvres africaines seraient possédées par les musées de France. Plus de 17 000 seraient présentes en Allemagne, et un chiffre comparable aurait été dénoté par les muséologues britanniques. C’est une partie de l’histoire africaine qui est toujours détenue par l’Occident. Selon les autorités européennes, c’est le manque de documentation qui serait en cause du refus de restituer ces trésors aux pays africains. Mais du point de vue des spécialistes africains, ce sont les modalités douteuses d’acquisition des artéfacts, qui seraient en cause pour le dépouillement de l’Afrique de ses œuvres d’art.
Jusqu’à la campagne écossaise
C’étaient des chercheurs universitaires qui avaient soulevé en mars la présence de peintures africaines dans la campagne écossaise. Lors de la visite d’un groupe d’historiens dans un lycée écossais, ils ont identifié des œuvres zambiennes et sud-africaines. La collection appartenait au célèbre peintre Lucky Sibiya et le légendaire artiste Henry Tayali. Les peintures étaient considérées perdues.
Une enquête académique a révélé ensuite que des centaines d’œuvres de l’Afrique australe et orientale ont été dérobées dans les années 1960. Ces collections se trouvaient alors aux écoles d’art et aux musées, dans leurs pays africains d’origine. C’est alors que, dans des circonstances abstraites, ces œuvres ont été achetées à 114 euros l’unité. Certaines peintures sont estimées aujourd’hui à des millions.
Ensuite, cette découverte a aussi révélé la présence de l’entière collection du Commissaire culturel tanzanien Joseph Ntiro, dans le Musée de l’Art Moderne de New York (MoMA). Les Etats-Unis n’ont exprimé aucune intention de retourner les œuvres tanzaniennes à leur pays d’origine. De même, les autorités britanniques déplaceront la collection Argyll à Glasgow, en Ecosse.
Une autre découverte, de bronzes du royaume du Bénin, a été faite en mars 2021. Parmi les centaines de têtes de bronze représentant les rois des antiques Bénin et Nigéria, seulement une quinzaine sera apte à la restitution. En prenant en considération le temps nécessaire pour recenser les documents prouvant la propriété des bronzes, la procédure peut prendre des années. Néanmoins, malgré les secrets et la difficulté entourant l’art africain volé par le Royaume-Uni, la majorité écrasante des objets pillés se trouvent ailleurs. Plus précisément, en France et en Allemagne.
Reprendre n’est pas voler
En 2018, Felwine Sarr et Bénédicte Savoy ont remis leur rapport sur le patrimoine culturel africain au président français Macron. Ce rapport conclut les recherches sur le pillage d’Alfred Dodds du Dahomey – comprenez l’actuel Bénin et Nigéria. Lors de la conquête sanglante en 1894, le général français a envoyé les trésors nigérians et béninois en France. Depuis, ils ne sont réapparus, en partie, qu’à l’inauguration du musée du Quai Branly-Jacques Chirac.
En l’occurrence, ce musée contient des milliers d’œuvres de l’Afrique entière, non seulement du royaume du Bénin. Entre bijoux touareg, vêtements égyptiens, statues maliennes, masques sénégalais, armes gabonaises, tapisseries éthiopiennes, poterie swazi, meubles zoulous etcetera… Ce musée est un vestige des mots du président français dont il porte le nom. Jaques Chirac avait bien déclaré : « Nous avons saigné l’Afrique pendant quatre siècles et demi. Au nom de la religion, on a détruit sa culture. », avait-t-il admis. Un autre musée français, le musée d’Angoulême, contient plus de 7000 objets originaires d’Afrique.
Bien que la France n’ait pas la culture de rendre les biens volés, l’Allemagne montre une volonté d’éviter l’embarras que pourrait lui infliger ce contexte. En effet, Berlin envisage la restitution des centaines de sculptures en bronze, similaires à celles décelées en France, au Nigéria. En effet, le musée Am Rothenbaum de Hambourg a commencé à établir la feuille de route pour la restitution des statuettes au pays africain.
Toutefois, on n’a pas encore recensé des dizaines de milliers d’œuvres volés par l’Europe. Pour les archéologues et les muséologues, il est clair que ce que l’Occident qualifie de « culture ancienne », n’est que le résultat du vol des autorités coloniales des pays africains. Cependant, une lueur d’espoir réside encore dans la sensibilisation, qui pourrait conduire à un effet boule de neige.
Britain stole the royal, sacred Benin Bronzes from Nigeria, so why is Germany leading their return? — new from me in @TheArtNewspaper https://t.co/GlJxWsF2ah
— Dan Hicks (@profdanhicks) March 23, 2021
« Il faut accélérer le processus de rapatriement »
Certains intellectuels africains ont déclenché un cercle vertueux de projets, qui pourrait éventuellement conduire à la rétrocession escomptée des œuvres pillées. Le musée national de Nairobi, au Kenya, a une nouvelle conception pour avertir le public de la gravité de la situation. L’établissement expose des centaines de vitrines vides dans ses salles. Il s’agit d’afficher les 32 000 pièces pillées au Kenya pendant la colonisation allemande et ensuite britannique.
Donc ce sont des activistes, des artistes et des universitaires qui se sont mobilisés pour promouvoir cet évènement. Le collectif d’artistes The Nest, représenté par la réalisatrice kényane panafricaine Njoki Ngumi, a organisé l’exposition. Selon Ngumi, l’Occident détient 95% de l’art africain. Selon elle, le mouvement lancé par le rapport Sarr-Savoy commence à faire effet. Cependant, l’artiste considère qu’il faut faire pression sur les pays colonisateurs pour accélérer le processus.
Le directeur de The Nest, Jim Chuchu a déclaré : « En regardant les gens interagir avec cette exposition, nous voyons leur colère et leur douleur », a-t-il affirmé. Ensuite il a continué : « Nous n’avons pas assez d’étiquettes pour écrire les noms des œuvres d’art pillées et recensées », a dit Chuchu.