Après avoir remis ses lettres de créances aux autorités togolaise mardi, Esra Demir sera la première ambassadrice de la Turquie au Togo. Une nouvelle représentation diplomatique qui montre la volonté politique d’Erdoğan de s’implanter en Afrique.
Robert Dussey, le ministre togolais des Affaires étrangères, a reçu mardi les lettres de créances de la nouvelle ambassadrice turque à Lomé, Esra Demir. Il s’agit de la 43e ambassade turque qui s’implante sur le continent, et la 31e lors de ces 18 dernières années.
La Turquie a multiplié ses échanges commerciaux avec l’Afrique par cinq durant les quinze dernières années, et les investissements directs turcs dans les pays africains ont été multipliés par 70 durant les deux dernières décennies.
L’ancien chef de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) des Nations unies, Carlos Lopes, avait tweeté il y a à peine un mois que « l’empreinte de la Turquie en Afrique devient plus importante que la plupart des pays européens en très peu de temps ». En effet, depuis qu’Erdoğan est devenu Premier ministre de la Turquie en 2003, avant d’être président, il a effectué pas moins que 29 visites de travail en Afrique. L’actuel chef de l’Etat turc jouit donc depuis 16 ans du statut de partenaire stratégique de l’Union africaine.
Une relation privilégiée entre la Turquie et le Togo
La Turquie et le Togo ont cherché à ouvrir la nouvelle ambassade depuis deux ans maintenant. La relation des deux pays avait évolué au fil des années grâce aux multiples projets de développement du gouvernement turc au Togo. Et contrairement aux investissement européens ou chinois, les entreprises turques visent un marché local.
Esra Demir, la nouvelle ambassadrice, pourra remettre sur les rails le lancement des nouveaux investissements de son pays au Togo, donc. L’un de ces projets sera la plateforme de transformation des produits agricoles, annoncée tour à tour par l’ambassadeur turc au Bénin, et plus récemment par l’ambassadeur turc en Afrique du Sud, Elif Ülgen.
On peut donc s’attendre à plus de coopération entre les deux pays, surtout que la nouvelle ambassadrice dispose d’une bonne réputation dans la région, ayant été très active lorsqu’elle était ambassadrice en Côte d’Ivoire.
La Turquie concrétise ainsi son ambition de faire du Togo son premier partenaire de la sous-région. Le tout dans un contexte où la nation d’Erdogan renforce sa coopération avec ce pays d’Afrique de l’Ouest. Il est de plus en plus évident que l’expansion turque en Afrique subsaharienne servira aussi de tremplin pour son implantation politique, économique et même militaire dans d’autres régions du continent.
Sans passé colonial, la Turquie a un avantage
Certes, la Turquie a investi beaucoup d’efforts en Afrique, comme l’ont fait les puissances occidentales et moyen-orientales. Mais son expansion sur le continent semble également faire partie de l’ambition plus large d’Erdoğan de ressusciter le monopole turc sur la Méditerranée.
Cela n’enlève rien à l’engagement concret de la Turquie, qui a été prouvé maintes fois avec les déplacements du président turc à Mogadiscio en 2011 et en 2016, ainsi que les nombreuses aides humanitaires l’année dernière au Niger, au Tchad et à la Tunisie pour aider à lutter contre la précarité engendrée par la pandémie de la Covid-19.
Ces gestes bienveillants ont aussi un objectif géopolitique : Erdoğan a, plus que ses prédécesseurs et la plupart des chefs d’Etat, une présence solide en Afrique qui est essentielle pour tout acteur international. C’est pour cette raison que l’agio diplomatique et économique turc en Afrique a été soutenu par sa propre industrie de la défense. Outre la base militaire turque en Somalie, la Turquie a fait de grands pas vers la coopération militaire avec le Nigéria, la Libye, l’Afrique du Sud, l’Ethiopie et potentiellement le Togo. Ce dernier avait investi l’équivalent de 120 % de son PIB en armement sur une durée de 13 mois.
Le spécialiste Ali Bilgic, dans une analyse publiée par le Daily Maverick sud-africain, explique que les intérêts de la Turquie en Afrique restent indivisibles, et même si la priorité d’Erdoğan est l’Afrique du Nord, il cherche aussi à agir d’une façon différente de la Chine et de l’Europe.
« On ne peut pas séparer les objectifs économiques, politiques, humanitaires et militaires turcs les uns des autres. En ce sens, la Turquie suit les pas de nombreuses puissances occidentales en Afrique. Cependant, contrairement à eux, la Turquie se présente comme un État afro-eurasien, donc pas une puissance extérieure avec un passé colonial, mais quelqu’un du continent, un partenaire », résume Bilgic.
La Turquie est désormais engagée en Afrique. Pour le meilleur ou pour le pire, le pays d’Erdoğan montre une bienveillance que l’Europe, la Chine ou les Anglo-Saxons n’ont pas su manifester, surtout durant les dernières années. Le Togo en profitera-t-il ?