L’ambassadrice américaine aux Nations unies, Linda Thomas-Greenfield, déplore le vote africain concernant la condamnation de la Russie après son intervention en Ukraine. Elle demande aux Etats africains de prendre une position claire.
La souveraineté diplomatique des pays africains est-elle menacée par les pressions occidentales ? Lors d’une interview, mercredi, l’ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, Linda Thomas-Greenfield, a exhorté les dirigeants africains à soutenir plus clairement l’Ukraine contre la Russie.
L’ambassadrice américaine dévoile notamment avoir fait pression sur les membres africains du Conseil de sécurité des Nations unies — en particulier le Kenya, le Gabon et le Ghana —, pour obtenir, le 2 mars dernier, leur voix condamnant la Russie. L’ONU votait, ce jour-là, une résolution « condamnant l’agression russe en Ukraine ». « Je m’engage avec eux régulièrement, et je rencontre d’autres représentants permanents africains pour les encourager à s’exprimer sur cette question », admet la diplomate.
Lors du vote du 2 mars, 28 pays africains ont voté pour la condamnation de l’opération militaire russe en Ukraine. Dix-sept pays s’étaient abstenus, huit pays n’ont pas voté et seule l’Erythrée a voté contre. Une position qui a sans aucun doute déçu les pays européens et les Etats-Unis. Une position non-alignée cohérente avec l’Histoire de l’Afrique, et surtout avec le degré d’implication des pays africains dans ce conflit opposant aujourd’hui la Russie à l’Occident, et particulièrement aux pays de l’OTAN.
Le président du Sénégal et de l’Union africaine (UA), Macky Sall, a rappelé l’importance du « respect de l’indépendance et de la souveraineté des Etats ». Linda Thomas-Greenfield et l’administration Biden semblent toutefois avoir été pris de court par la position africaine. Et l’ambassadrice américaine ne s’en cache pas, elle cherche à faire pression sur les diplomaties africaines. Au détriment des intérêts africains ?
Une diplomatie américaine apathique en Afrique
Linda Thomas-Greenfield, forte d’une expérience dans la lutte contre le racisme aux Etats-Unis et d’une carrière diplomatique en Afrique — ex-ambassadrice au Libéria, ex-responsable des affaires africaines au département d’Etat américain — semble cependant étonnamment à côté de la plaque, confondant même Macky Sall avec le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat.
« Le chef de l’UA était à Washington la semaine dernière, M. Moussa Faki, et il a rencontré le secrétaire Blinken et d’autres personnes à Washington. Et un certain nombre de questions étaient à l’ordre du jour sur la manière dont nous pouvons nous associer à l’Afrique sur un large éventail de questions. Mais l’Ukraine était certainement l’un de ces domaines où nous avons besoin d’un engagement africain, nous avons besoin d’un partenariat avec l’Afrique », explique Linda Thomas-Greenfield.
Pourtant, la diplomate, dotée d’un rang de ministre, est l’interlocuteur principal des pays africains pour les Etats-Unis. Une décision prise, sans doute, par le chef de cabinet de Joe Biden, Ronald Klain, surnommé « le tsar d’Ebola » pour son supposé engagement dans la réponse à la pandémie.
Les deux hauts fonctionnaires, ainsi que le secrétaire d’Etat Antony Blinken, forment le triumvirat de la politique africaine de Joe Biden. Mais outre un passage éclair de Blinken dans trois pays africains en novembre dernier, cette diplomatie africaine de la nouvelle maison Blanche s’est limitée à quelques discours. Rien de plus.
Le corps diplomatique américain n’a, d’ailleurs, pas réussi à surmonter la chute des investissements américains en Afrique. Malgré de nombreuses promesses, les taux d’investissements américains directs ont chuté en 2021 — 37 milliards de dollars — à un niveau inférieur aux mandats de George W. Bush et Donald Trump.
Pourtant, lors de son investiture, Biden affirmait que les Etats-Unis « se tiennent prêts pour être les partenaires de l’Afrique dans la solidarité, le soutien et le respect mutuel ».
Des pressions sans contrepartie
Mais que promettent les Etats-Unis en cas d’alignement, derrière eux, des pays africains ? Interrogée par le journaliste Ronald Lwere Kato sur les plans américains quant au soutien de l’Afrique, dans l’éventualité où les pays africains soutiendraient la position onusienne des Etats-Unis, Linda Thomas-Greenfield a été encore moins claire.
« Vous savez, nous avons fait un certain nombre de choses pour atténuer l’impact de cette guerre et des sanctions qui ont été imposées à la Russie pour atténuer l’impact de cela sur d’autres pays », a déclaré la diplomate. « L’idée est de chercher d’autres sources de pétrole pour construire et promouvoir d’autres pays qui sont tous producteurs, un grand nombre de pays qui sont tous producteurs sur le continent africain. Comment pouvons-nous utiliser ces ressources de manière plus efficace afin de soutenir non seulement l’Afrique, mais aussi le reste du monde ? », interroge-t-elle.
Mais, en attendant, ce sont plutôt les pays africains qui vont à la rescousse de l’Europe, première région impactée par les sanctions sur la Russie. L’Algérie a augmenté ses exportations de gaz vers l’Italie et l’Espagne. L’Angola a mis en vente l’exploitation de nouveaux blocs pétroliers et gaziers. Quant au Nigéria, il a décidé d’augmenter ses exportations au détriment de l’augmentation des prix des carburants dans le pays.
Un engagement plus important que celui des Etats-Unis, où Biden a interdit aux magnats du gaz d’augmenter la production destinée à l’export. Suscitant d’ailleurs une guerre entre les lobbies du gaz et le gouvernement.
Quant aux céréales, dont la pénurie menace certains pays de faim, les Etats-Unis, la France et le Canada, qui en sont les plus grands producteurs après la Chine, l’Inde et la Russie, ne démontrent toujours pas de volonté d’en exporter en Afrique outre-mesure.
L’Afrique préfère regarder ailleurs
Ainsi donc, si l’on met de côté l’engagement économique inexistant ou un potentiel engagement gagnant-gagnant imaginaire, qu’aurait à gagner l’Afrique en s’alignant diplomatiquement avec l’Occident ? Certains présidents ne semblent pas prêts à s’engager dans ce sens.
Le président sud-africain Cyril Ramaphosa, estime que la guerre entre la Russie et l’Ukraine « aurait pu être évitée si l’OTAN avait tenu compte des avertissements lancés par ses propres dirigeants et responsables au fil des ans ». Et de poursuivre : « Les pays les plus puissants ont tendance à utiliser leur position de membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies pour servir leurs intérêts nationaux plutôt que les intérêts de la paix et de la stabilité mondiales ».
Ramaphosa a également, au même titre que Macky Sall, tenté une médiation dans le conflit ukraino-russe.
Pour rappel, l’Afrique du Sud et le Sénégal s’étaient abstenus de voter pour la condamnation de la Russie à l’ONU. Pretoria est, également, membre du BRICS. Le bloc réunissant aussi la Chine, l’Inde et le Brésil, prévoit de représenter 40 % du PIB mondial en 2025, en plus de représenter la moitié du monde en termes de démographie.
Le BRICS ambitionne aussi l’adhésion d’autres puissances émergentes comme le Mexique, l’Indonésie et la Turquie.
Si le conflit larvé entre les pays de l’OTAN et la Russie s’intensifie, donc, cela s’opère dans un climat géopolitique changeant. La création récente du G4 africain, et la fin du monopole économique et diplomatique occidental en Afrique avec l’entrée en force de la Chine, la Russie et la Turquie, sont tout autant des raisons pour l’Afrique d’éviter de prendre une position qui ne dessert pas ses intérêts.