Twitter a annoncé aujourd’hui avoir fermé près de 3 500 comptes dans le monde qui « publiaient de la propagande pro-gouvernementale » dans six pays, dont la Tanzanie et l’Ouganda.
Alors que, comme tous les autres géants américains des médias sociaux, Twitter fait l’objet de nombreuses critiques pour son incapacité à lutter contre les discours haineux sur sa plateforme, le petit oiseau bleu a opté pour une nouvelle vague de censure. Cette fois, ce sont la Chine, la Russie, l’Ouganda et la Tanzanie qui en font les frais.
L’entreprise de Jack Dorsey n’a jamais caché son parti pris dans la politique souveraine des Etats africains. Dernier scandale en date, le bras de fer qui a opposé Twitter et le Nigéria, après la suppression d’une publication du président Muhammadu Buhari. Twitter a été suspendu dans le pays et le ministère nigérian de l’Information a réussi à imposer ses conditions à Twitter avant de lever l’interdiction du réseau social dans le pays. Un bannissement qui a couté cher à Jack Dorsey.
Twitter a, cette fois, profité d’une nouvelle vague de suppressions. En tout, 3 465 comptes ont été concernés. Si plus de 2 000 des comptes supprimés appartenaient supposément au Parti communiste chinois et faisaient de la propagande anti-Ouïghours, Twitter a également supprimé 418 comptes publiant du contenu favorable au Mouvement de résistance nationale (NRM), le parti du président ougandais Yoweri Museven, et 268 comptes associés à la dernière campagne présidentielle tanzanienne, qui a abouti à la victoire du défunt John Magufuli et de sa colistière — et actuelle présidente — Samia Suluhu Hassan.
In Uganda, Twitter states that they "removed a network of 418 accounts engaged in coordinated inauthentic activity in support of Ugandan presidential incumbent Museveni and his party, National Resistance Movement (NRM)."
— Maria Burnett (@_MariaBurnett) December 2, 2021
Les choix politiques de Jack Dorsey
Concernant les comptes tanzaniens, les déclarations de Twitter interrogent. Sur son blog, le réseau social affirme que les comptes étaient « utilisés pour publier des rapports de mauvaise foi, ciblant les membres et les partisans de FichuaTanzania et de son fondateur ». Nul doute que ces posts ont été rédigés par le parti Chama cha Mapinduzi (CCM) ou par ses partisans.
Mais ce qui étonne, c’est le parti pris de Twitter : en visant le CCM, le réseau social laisse au mouvement d’opposition FichuaTanzania la possibilité de continuer de publier, via ses propres comptes, sans que cela ne dérange Twitter. Or, en observant le contenu, on remarque rapidement que le mouvement « de société civile et de défense des droits de l’homme » est un outil de propagande qui s’attaque à la présidente et promeut le chef de l’opposition, Freeman Mbowe. Ce dernier est pourtant accusé d’avoir planifié des attentats terroristes dans le cadre d’un coup d’Etat avorté.
En Afrique, faut-il donc être un opposant pour passer entre les mailles du filet lancé par Twitter ? Ou en tout cas, être du côté de Jack Dorsey. Car le patron du réseau social a des ambitions africaines : il souhaite développer Square Crypto, une initiative qui vise à renforcer l’écosystème bitcoin, sur le continent africain. Fin 2019, Dorsey avait effectué une tournée africaine qui l’avait emmené en Éthiopie, au Ghana, au Nigeria et en Afrique du Sud. Le patron de Twitter avait alors annoncé son intention de s’installer « trois à six mois » en Afrique — avant d’affirmer qu’il s’agissait d’une erreur. Il avait surtout promis au Nigéria d’y ouvrir sa base africaine, avant d’opter au dernier moment pour le Ghana. Depuis, entre le Nigéria et Twitter, c’est la guerre.
Mais c’est aussi la neutralité de Twitter qui pose question : Jack Dorsey s’est régulièrement engagé politiquement contre des régimes en Afrique. Il avait notamment soutenu des publications du mouvement social nigérian #EndSars. Depuis, Twitter fait sa loi : les Etats africains sont devenues des proies faciles pour pratiquer une censure qui ne répond à aucune règle précise.
Twitter, un néocolonialisme qui ne dit pas son nom ?
En Ouganda, la suppression de 418 comptes prétendument « engagés dans une activité coordonnée inauthentique » en faveur du président Yoweri Museveni et de son parti, le NRM, interroge autant que l’opération de nettoyage de Twitter en Tanzanie.
Les observateurs déplorent notamment le timing de cette vague de suppression : l’Ouganda est, en ce moment, pleinement engagé dans une campagne militaire à ses frontières avec la République démocratique du Congo contre le groupe armé ADF. La suppression de plusieurs comptes minimise la portée des déclaration de l’Etat ougandais, à un moment crucial dans la lutte antiterrorisme menée par les autorités.
En janvier dernier, l’Ouganda avait bloqué l’accès à Facebook après que le géant américain avait fermé plus de 20 pages. Il est probable que le gouvernement ougandais réagira de la même manière à la récente provocation de Twitter.
A la peine, Twitter est-il en train d’adopter, peu à peu, le même comportement que Facebook vis-à-vis des Etats ? L’oiseau bleu s’impose en tout cas désormais comme le pourfendeur des sécessionnistes et des groupes rebelles. Dans le même temps, il tente d’affaiblir la communication des Etats.
Après ses déboires avec le Nigéria et l’Afrique du Sud, Jack Dorsey risque donc de perdre du terrain en Tanzanie et en Ouganda. Et c’est tout sa stratégie africaine qui risque d’en pâtir : en soutenant systématiquement les oppositions et en tentant de museler les gouvernants, Twitter, comme Facebook, a de plus en plus l’image d’un réseau dictatorial et pousse l’Afrique à réfléchir à un nouveau modèle s’intégrant pleinement dans un schéma de souveraineté digitale.