Depuis la COP27, des médias évoquent une volonté de la part de Tunis de normaliser ses relations avec Israël. Mais avec Kaïs Saïed au pouvoir, cela semble quasiment impossible.
La scène a beau être anecdotique, elle a fait polémique en Tunisie. Un sourire échangé entre la cheffe du gouvernement tunisien Najla Bouden et le président israélien Isaac Herzog a en effet beaucoup fait parler, au moment de la Conférence de Charm el-Cheikh de 2022 sur les changements climatiques (COP27). Une scène qui a, au-delà de la simple polémique, relancé le débat sur la normalisation des relations entre la Tunisie et Israël. Les accords d’Abraham ne réunissent que trop peu de pays arabes et musulmans pour avoir du poids. Les États-Unis et les pays signataires de ces accords seraient donc forcément heureux de voir la Tunisie les ratifier. Mais les échanges courtois entre Bouden et Herzog semblent être plus symboliques que politiques. Et il semble improbable de voir la Tunisie rejoindre la liste des pays signataires des accords d’Abraham.
En tout cas, cela ne risque pas d’arriver sous la présidence de Kaïs Saïed. Le président tunisien avait en effet montré sa colère au moment de la création des accords d’Abraham. Saïed avait évoqué la normalisation avec l’État hébreu comme étant une « trahison suprême » et l’« injustice du siècle ». En mai 2021, alors interrogé par France 24 sur le sujet, il avait même indiqué : « Ce n’est pas une situation normale pour un être humain de vivre sous l’Occupation, et il n’est pas normal que vous ayez des relations avec l’occupant ». Un an plus tard, les propos de Kaïs Saïed avaient été confirmés par le ministère des Affaires étrangères, qui avait indiqué que la Tunisie n’était « pas intéressée par l’établissement de relations avec l’entité occupante », préférant rester « un appui officiel et populaire » à la Palestine.
Mais le discours n’est-il pas un simple discours de façade ? « Kaïs Saïed a des convictions fortes à ce sujet et il ne tergiversera certainement pas sur ce point », indique un observateur de la vie politique tunisienne. Reste que la presse internationale, et marocaine en particulier, a régulièrement assuré que Tunis voulait en réalité signer les accords d’Abraham, mais que le pays subissait des pressions de la part de son voisin, l’Algérie. « Impossible, rétorque notre spécialiste. L’opposition à Israël est l’un des éléments les plus importants du programme de Kaïs Saïed lors de sa campagne présidentielle, il est donc hors de question de revenir dessus ».
Le peuple tunisien se range du côté des Palestiniens
Et au contraire, depuis que Kaïs Saïed a investi le palais de Carthage, la Tunisie s’est encore plus éloignée d’Israël, avec qui elle avait, auparavant, des relations sporadiques. On se souvient que, dès sa prise de fonctions, Saïed avait limogé ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères, Abdelkrim Zbidi et Khemaies Jhinaoui, alors que ce dernier était accusé d’avoir envoyé une délégation en Israël. À l’époque du dictateur Ben Ali, les relations avec Tel-Aviv étaient même plutôt cordiales : un bureau de liaison avait d’ailleurs été installé en Israël.
Kaïs Saïed a promis de « soutenir les causes justes, y compris celle de la Palestine » jusqu’à la fin de son mandat. Son « nationalisme arabe » l’empêchera de déroger à ses principes. D’autant qu’il peut compter sur un soutien populaire important. Et qu’en cas de signature des accords d’Abraham, nul doute que le soulèvement populaire serait mémorable et risqué pour le président.
Si l’Égypte et le Maroc sont favorables à une normalisation des relations tuniso-israéliennes, tout comme les États-Unis et les Émirats arabes unis, Alger verrait d’un mauvais œil une telle démarche. Et si la signature d’accords économiques avec Tel-Aviv permettrait à Tunis de sortir de la difficile crise que le pays traverse, les retombées pour Kaïs Saïed seraient extrêmement négatives. Suffisant pour ne pas envisager une quelconque normalisation et pour rester, pour le président, campé sur ses positions.