Le président de la République tunisienne a, hier soir, suspendu les travaux du parlement et limogé le chef du gouvernement. Kaïs Saïed saura-t-il gérer l’après ?
[Article mis à jour le 26 juillet 2021 à 18h30]
La Tunisie subissait, depuis dix ans, les affres de l’usure. Depuis la révolution de 2011, les chefs de gouvernement, tous aussi apathiques les uns que les autres, n’ont jamais réussi à trouver des solutions pour relancer une économie amorphe et à rassurer socialement. Alors, la population tunisienne a accueilli avec enthousiasme les événements d’hier soir. Le président de la République Kaïs Saïed a profité de la paralysie politique, conséquence des incohérences de la Constitution, pour prendre les pleins pouvoirs, officiellement pendant un mois. Et c’est justement grâce au flou de l’article 80 de la Constitution que le chef de l’Etat a gelé les travaux de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et limogé son chef du gouvernement. La Constitution a montré là ses limites : attendue en octobre 2012, elle avait finalement été votée en janvier 2014 après avoir été adoubée par la Commission de Venise, un organe consultatif du Conseil de l’Europe qui fournit une « aide constitutionnelle d’urgence » aux Etats en transition, qui n’avait rien trouvé à redire quant aux incohérences du texte.
Une situation ingérable ?
Les actes posés hier par le président tunisien étaient en tout cas la partie la plus simple du projet de Kaïs Saïed qui n’a même pas eu besoin de réaliser un coup de force : il a simplement eu à se positionner en force. Et s’il s’agit indéniablement d’une « reprise en main des institutions républicaines », comme qualifie le ministère allemand des Affaires étrangères ce qui s’est passé hier, le président de la République n’apparaît pour le moment pas comme le dictateur en herbe que ses opposants décrivent. Alors qu’il a levé l’immunité des élus et annoncé qu’il dirigerait lui-même le parquet, le président tunisien n’a, hier soir, procédé à aucune arrestation. Etonnant pour un chef de l’Etat qui cherche à se positionner en « Monsieur Propre » de la politique. Les militaires ont, certes, empêché Rached Ghannouchi, le leader d’Ennahdha, d’accéder au siège de l’ARP, mais aucune balle n’a été tirée. Le premier acte de la reprise en main des institutions posé de façon pacifique, le plus difficile commence désormais pour Kaïs Saïed. Novice en politique, le chef de l’Etat est maintenant lui-même confronté à une situation qui semble ingérable.
Saïed désormais seul aux manettes
Le président de la République a affirmé, au sortir d’une réunion avec les responsables militaires, qu’il « se chargera du pouvoir exécutif avec l’aide d’un gouvernement dont le président sera désigné par le chef de l’Etat ». Mais qui aujourd’hui pourrait être nommé chef du gouvernement ? Le nom de Taoufik Charfeddine est avancé depuis ces dernières heures. Lotfi Brahem pourrait également retrouver un poste à l’Intérieur. Sans véritable équipe, Kaïs Saïed est esseulé, et aura du mal à désigner un gouvernement sans faire appel à des figures de l’Ancien régime, qu’il a toujours dénigrées. La présidence s’est donnée trente jours pour trouver l’homme providentiel. En attendant, Hichem Mechichi limogé, Kaïs Saïed s’est mis en difficulté en prenant, seul, les rênes du pays. Saïed n’a désormais plus aucun fusible et tout échec politique lui sera imputé, lui qui désire gouverner par décrets. Pour trouver un nom pour la Kasba, le président tunisien va commencer à devoir discuter avec les différentes composantes politiques du pays, ce qu’il n’est pas vraiment habitué à faire.
Le parti Ennahdha peut-il profiter de la situation ?
Quant aux conséquences de cette reprise en main des institutions de l’Etat, elles dépasseront certainement la volonté de Kaïs Saïed. Le chef de l’Etat espérait prendre Ennahdha à son propre piège. Mais ce sera certainement l’inverse. Lors des législatives de 2019, les partisans d’Ennahdha ont été 20 % à voter pour le mouvement islamiste, qui avait terminé premier. Depuis, le parti de Montplaisir connaît une crise aigüe. Les décisions de dimanche auront au moins pour conséquence de resserrer les rangs au sein d’Ennahdha, qui sait habituellement si bien haranguer ses militants. En prenant des demi-mesures hier soir, Kaïs Saïed a certainement voulu mettre la pression sur les islamistes. A la différence d’un Sissi en Egypte, qui avait fait arrêter Mohamed Morsi quelques jours après son coup d’Etat, Kaïs Saïed n’a, pour le moment, pas prévu d’emprisonner Rached Ghannouchi. Ce dernier a les mains libres pour mobiliser ses troupes et revenir plus fort dans l’arène politique.
Quelle réaction de l’Algérie voisine ?
Reste une dernière inconnue : les réactions étrangères. Pour le moment, les pays occidentaux n’ont pas réagi aux annonces de Kaïs Saïed. La France, après les propos de Michèle Alliot-Marie qui avait proposé d’envoyer les CRS pour aider Ben Ali, en 2011, risque bien de se garder de tout commentaire. Quant aux Etats-Unis, ils ont exhorté le mois dernier Tunis à créer rapidement une Cour constitutionnelle. Un soutien à Kaïs Saïed, qui a bloqué le processus en refusant de signer la création de l’organe en avril dernier, semble donc peu probable. C’est aujourd’hui surtout du côté algérien que les yeux sont rivés en Tunisie. Depuis novembre, la Constitution algérienne autorise des interventions militaires à l’étranger. Pour le moment, le désamour d’Alger pour Rached Ghannouchi est un avantage pour Kaïs Saïed. Selon plusieurs sources concordantes, un émissaire du ministère algérien des Affaires étrangères se rendra à Tunis demain. Reste à savoir si le président saura trouver des solutions rapides à la paralysie politique en Tunisie. Le plus dur commence pour lui…