Alors que le président tunisien Kaïs Saïed a lancé, ces derniers mois, une « conciliation pénale », que faut-il attendre de la commission chargée de récupérer l’argent détourné ces vingt ou trente dernières années ?
La « conciliation pénale », un nouveau concept signé Kaïs Saïed. Le président tunisien estime pouvoir récupérer l’argent détourné par l’ex-dictateur Ben Ali et sa famille avant 2011, mais également des sommes qui ont été détournés après la Révolution tunisienne, pour les affecter à des projets de développement. Sur le papier, le projet est alléchant. Mais dans les faits, n’est-ce pas une simple annonce populiste ?
C’est en novembre dernier que le chef de l’État a mis en place cette fameux Commission de la conciliation pénale, à qui il a lancé un ultimatum : cette institution dispose d’une demi-année pour arriver à ses fins. Son président, Makrem Ben Mna, a été reçu par Kaïs Saïed en décembre. Ce dernier lui a demandé de « ne pas céder le moindre millime revenant au peuple tunisien qui serait de son droit ». Autrement dit, tout dinar tunisien détourné doit être remis dans le circuit officiel au service de projets de développement.
Opération « mains propres »
La mise en place de cette commission fait suite à la volonté affichée du président tunisien de lancer une opération « mains propres ». En juillet 2021, Kaïs Saïed avait accusé 460 hommes d’affaires d’avoir spolié le pays et leur avait proposé un marché en vue d’une « réconciliation pénale ». Six mois plus tard, au moment de voter la loi de finances 2022, le président avait demandé d’intégrer au budget les recettes fiscales du secteur informel. Mais en Tunisie, comme ailleurs, lutter contre la contrebande peut être utopique…
D’un côté, donc, le discours est intéressant : lutter contre les détournements de fonds et mettre l’argent au service du peuple. De l’autre, on a du mal à savoir comment cela sera rendu possible, et ce malgré la création d’une commission dédiée. Pourtant, Saïed avance des chiffres : il pense pouvoir récupérer 13,5 milliards de dinars, soit l’équivalent de 4 milliards d’euros, en prenant en compte l’argent détourné sous Ben Ali.
Le dispositif de conciliation sera-t-il plus efficace que les travaux de la Commission nationale d’investigation sur les faits de corruption et de malversation, qui n’a pas donné grand-chose ? Car à part une liste de personnalités politiques et du monde des affaires supposément corrompues, seules quelques amendes ont été données.
Mission impossible ?
D’autant que la mise en place du dispositif semble difficilement défendable en termes de droit : comment s’attaquer à des personnalités qui ont déjà été jugées ? Et comment les personnalités visées par des accusations de détournement pourront se défendre, dans un pays où il est très difficile de faire confiance à la justice ? Surtout, comment s’assurer que la commission en question sera efficace là où d’autres organisations, comme l’Instance Vérité et Dignité (IVD), ont échoué ?
Au final, Kaïs Saïed compte-t-il réellement réussir à effacer le passé ? Ou veut-il simplement faire un coup de communication, qui lui permettra d’inculquer, chez les responsables politiques et dans le monde des affaires, la notion de solidarité avec l’État ? Il ne reste que quelques mois à la commission pour faire son travail et livrer ses premières conclusions. On saura alors si la Tunisie peut ou non compter sur l’argent détourné ces vingt dernières années.