Le nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye va devoir faire face à une forte demande de réformes liées à la gouvernance.
Le dimanche 24 mars, les citoyens sénégalais sont allés massivement aux urnes pour élire leur président. Le contexte politique autour du scrutin a mis à l’épreuve les institutions démocratiques du pays. Initialement prévue le 25 février, l’élection était très attendue par les 7,3 millions de citoyens (sur une population de 17 millions d’habitants) inscrits sur les listes électorales. Le scrutin a eu lieu après un premier report imposé par le président sortant Macky Sall, l’adoption d’une loi reportant la date au mois de décembre, et l’intervention du Conseil constitutionnel pour rejeter ce plan.
Comme je l’ai déjà indiqué, ce report a déclenché une crise constitutionnelle que les institutions sénégalaises et le public ont jusqu’à présent surmontée avec une résilience qui témoigne des normes démocratiques profondément enracinées. Celles-ci ont été le moteur de la politique multipartite au fil des décennies.
Dans la soirée du 24 mars, le dépouillement a commencé au niveau des bureaux de vote, conformément au code électoral sénégalais. Alors que la Commission nationale de recensement des votes a annoncé les résultats provisoires, les résultats officiels ne seront pas validés par le Conseil constitutionnel avant plusieurs jours. Cependant, les chiffres provisoires indiquent que le vainqueur est Bassirou Diomaye Faye, inspecteur des impôts et membre fondateur du parti des Patriotes africains pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), qui a fêté ses 44 ans le 25 mars.
Son plus fort adversaire était l’ancien Premier ministre Amadou Ba, qui représente la coalition au pouvoir, Benno Bokk Yakaar (BBY, S’unir dans l’espoir, en langue wolof). Ba et le président sortant Macky Sall, ont adressé à Faye leurs félicitations durant la journée de lundi. Ba a indiqué que les citoyens “ont conforté le statut de démocratie majeure de notre pays”.
Le résultat de l’élection va avoir beaucoup d’implications pour le contenu de la politique publique au Sénégal, étant donné la “rupture” que Faye revendique. Cependant, le processus par lequel les institutions et le peuple sénégalais ont géré la controverse autour de la tenue de l’élection de 2024 pourrait être encore plus important pour l’avenir de la gouvernance responsable du pays. L’exercice par le Conseil constitutionnel de ses pouvoirs de contrôle pour rejeter le report de l’élection à décembre a été l’un des correctifs les plus importants à l’ “hyperprésidentialisme” au Sénégal depuis l’instauration du système présidentiel en 1963.
Les chefs de file
L’élection présidentielle de 2024 était unique dans l’histoire contemporaine du Sénégal, car le président sortant ne s’est pas présenté. En juillet 2023, après une longue période d’incertitude et de violences politiques, le président Macky Sall avait en effet exprimé son intention de se retirer à la fin de son deuxième mandat. Le Premier ministre, Amadou Ba, devenait ainsi le candidat de la coalition au pouvoir. Avant d’occuper le poste de Premier ministre, Ba a mené une brillante carrière en tant que ministre des Affaires étrangères, ministre de l’Economie et des Finances, et directeur général des Impôts et Domaines. Il a joué un rôle essentiel dans la réalisation des projets mis en place par le président Sall dans le cadre du Plan Sénégal Emergent (PSE), le cadre de référence des politiques économiques et sociales de Macky Sall.
S’il représentait la coalition au pouvoir, l’investiture de Ba comme candidat de l’Alliance pour la République (APR) a créé des tensions pour certains dans le camp du président qui auraient préféré d’autres successeurs possibles au sein du parti au pouvoir. Comme le montrent mes recherches antérieures, les Premiers ministres sénégalais sont souvent capables de cultiver des réseaux clientélistes et d’attirer des partisans indépendants de ceux du président. Par exemple, lorsque Macky Sall était Premier ministre sous l’ex-président Abdoulaye Wade, il a monté un réseau de loyalistes qui lui a permis de se démarquer du parti au pouvoir et de créer l’APR devenue rapidement un parti d’opposition avec une envergure nationale. Certains responsables de l’APR se sont opposés à la candidature de Ba pour des raisons liées aux réseaux politiques et aux loyautés partisanes.
De l’autre côté de l’échiquier politique, Ousmane Sonko, leader de Pastef et actuel maire de Ziguinchor (Casamance), souhaitait se présenter à l’élection présidentielle sous l’étiquette de son parti. Ses condamnations pénales pour corruption de la jeunesse et diffamation en 2023 l’ont disqualifié de fait. Sonko a alors confié la candidature à son ami et cofondateur du Pastef, Faye, dont le Conseil constitutionnel a validé la candidature en même temps qu’il déclarait Sonko inéligible. Bien que le gouvernement ait dissous le Pastef, la campagne de Faye a suscité des mobilisations massives, notamment parmi les jeunes.
Faye a, lui aussi, été emprisonné pour avoir critiqué la justice dans l’affaire de diffamation de Sonko. Il a été libéré le 14 mars, soit dix jours avant l’élection, au cours d’une période de campagne dont la durée a été raccourcie. La libération de Faye, ainsi que celle de Sonko, a été rendue possible par l’adoption d’une loi d’amnistie pour les actes liés aux manifestations qui ont secoué le Sénégal depuis 2021. Plusieurs candidats ont encouragé leurs partisans à se rallier à Faye, comme l’a fait l’ancien président Abdoulaye Wade au nom du Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition). Mais le soutien de Wade à Faye n’a pas rencontré l’adhésion de certains anciens responsables du PDS qui avaient démissionné dans le passé pour former leurs propres partis et mouvements.
Les dynamiques de soutien au sein des coalitions des plus grands candidats ont été caractérisées par deux aspects : une solidarité au sein du camp de Faye et à une division au sein du camp de Ba. Cette combinaison de solidarité et de division a produit un résultat surprenant : la victoire de l’opposition au premier tour.
Que va-t-il se passer?
Il faudra encore attendre avant que les analystes puissent tirer des conclusions définitives sur l’élection présidentielle de 2024 au Sénégal. Le respect des règles et des procédures de vérification des résultats officiels reste essentiel pour la légitimité. En outre, le président Sall va quitter ses fonctions le 2 avril. La passation de pouvoir dans l’esprit de l’Etat de droit, dans l’esprit de la tradition de 2000 et 2012, est attendue.
Une fois investi, le président Faye héritera d’un contexte politique exigeant, compte tenu des découvertes de pétrole et de gaz au Sénégal qui demandent une approche stratégique à la négociation des contrats pour rassurer que le peuple en tire les bénéfices. Il y a également un taux de chômage élévé des jeunes, une dynamique de migration irrégulière qui nécessite une politique de gouvernance migratoire, et des défis posés par le coût de la vie.
Faye s’est présenté comme le “candidat de la rupture” avec des idées panafricaines et gauchistes. Bien avant l’élection, les leaders de Pastef ont défendu des idées telles que la création d’une monnaie nationale, le renforcement de la souveraineté nationale, et la lutte contre la corruption. Dans son premier discours après l’élection, Faye a toutefois mis l’accent sur la réconciliation, le renforcement de l’intégration des pays de la Cedeao, une plus étroite intégration politique et économique du continent, la valorisation des ressources humaines au Sénégal, et les consultations nationales inclusives et sectorielles.
Faye va également faire face à une forte demande de réformes liées à la gouvernance. Il a signé le Pacte national de bonne gouvernance démocratique, qui vise à améliorer la gouvernance dans l’esprit des recommandations de la Commission nationale de reforme des institutions (CNRI). Ce programme suit les traces des Assises nationales de 2007, qui ont conclu que le Sénégal a “un déséquilibre des pouvoirs avec une forte concentration des pouvoirs entre les mains du président de la République disposant du législatif et ayant une ascendance sur le pouvoir judiciaire”.
Le président aura une occasion unique de répondre à ces préoccupations de longue date. Des réponses stratégiques, décisives et concrètes seront essentielles.
Catherine Lena Kelly, Associate Dean and Associate Professor, National Defense University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.