Ce mercredi 2 mars, à l’Assemblée générale de l’ONU, une résolution « condamnant l’agression russe en Ukraine » a été adoptée. Comment ont voté les pays africains ?
Une semaine après le lancement de l’opération militaire russe en Ukraine, l’Assemblée générale de l’ONU a pris une position officielle. Dans ce texte voté hier, l’ONU a condamné « la déclaration du 24 février 2022 dans laquelle la Fédération de Russie a annoncé le lancement d’une ‘opération militaire spéciale’ en Ukraine ». Les Nations unies se disent « gravement préoccupées ».
Une résolution qui a été adoptée à 141 votes pour — l’ONU compte 193 Etats membres —. Plusieurs pays africains ont préféré la neutralité : quinze pays du continent se sont abstenus, tandis que cinq Etats n’ont pas voté. De son côté, l’Erythrée a voté contre.
L’Algérie, égale à elle-même
Le vote algérien a évidemment été l’un des plus scrutés. Premier allié de la Russie sur le continent, Alger s’est abstenu, montrant ainsi que sa diplomatie restait égale à elle-même, digne et souveraine. En pleine « guerre du gaz », et alors que l’Europe compte sur le gaz algérien, l’Algérie a montré qu’on ne pouvait lui dicter sa conduite à tenir.
Les pays occidentaux, selon Vladimir Poutine, « ont recours à la pression, à l’intimidation et au chantage contre des gouvernements souverains africains. Ils utilisent de telles méthodes pour tenter de se redonner une influence et une domination perdues dans leurs anciennes colonies sous une nouvelle forme et ainsi pouvoir en tirer le maximum de profits en exploitant le continent ». L’Algérie, seul pays à avoir sorti ses colons par les armes, semble définitivement ne pas être concernée par cette remarque.
Historiquement dans l’axe d’Alger, l’Afrique du Sud s’est elle aussi abstenue de voter. Pour Pretoria, c’est surtout « l’africanité » de sa diplomatie qui prévaut. L’Afrique du Sud ne s’implique diplomatiquement, de par son histoire, que lorsque les causes panafricaines sont menacées.
Le Burundi et l’Angola, de par leur passé étroitement lié au marxisme, se sont également abstenus.
Macky Sall et le Sénégal « s’émancipent »
Le Sénégal s’est lui aussi abstenu. Décrit par la presse ces dernières années comme un « miracle diplomatique » quant à sa capacité à travailler à la fois avec la Chine et les Etats-Unis, ou encore avec la France et la Turquie, le Sénégal étonne par ses prises de position récentes. Depuis son entrée en fonction en tant que nouveau président de l’Union africaine (UA), Macky Sall cherche à réconcilier l’instance panafricaine avec ses valeurs tiers-mondistes.
Cela s’était manifesté notamment lors du dernier Sommet de l’UA, au moment de geler le statut d’observateur d’Israël. En refusant de voter pour la résolution de l’ONU, Macky Sall s’éloigne progressivement de son image de « président Françafrique » et prend désormais des positions fortes.
Museveni, droit dans ses bottes
Pour L’Ouganda, qui a choisi de s’abstenir également, il s’agit de maintenir ses relations diplomatiques solides avec Moscou. Kampala jouit d’une relation privilégiée avec la Russie, notamment grâce aux nombreux échanges commerciaux entre les deux pays. L’Ouganda et la Russie ont des ambassades dans leurs capitales respectives, ainsi qu’une Commission économique dynamique, travaillant dans le cadre de deux accords de coopération datant de 2008. Estimant que « les Occidentaux doivent arrêter de nous donner des leçons », Museveni, le président ougandais, reste fidèle à sa ligne.
Sassou N’Guesso ne se laisse pas dicter sa conduite
Le vote du Congo-Brazzaville, qui a décidé de s’abstenir également, met en exergue l’importance des investissements énergétiques russes au pays de Denis Sassou N’Guesso. Mais il montre également que ce dernier tient à préserver son image de doyen de la diplomatie d’Afrique centrale. Très présent dans le dossier libyen, le président congolais n’est pas du genre à vouloir faire plaisir à l’Occident, quand cela met en porte-à-faux ses alliés.
La Tanzanie retrouve de la voix
Dernière surprise : l’abstention de la Tanzanie. S’il est quasiment certain que lors du mandat de feu John Magufuli, l’exubérant chef de l’Etat aurait sans doute voté contre la condamnation de la Russie, pour celle qui lui a succédé, la décision a été plus réfléchie. En effet, Dar es Salam s’est désenclavée en un temps record sous Samia Suluhu Hassan. Mais la charismatique présidente tanzanienne, et diplomate aguerrie, convoite également le marché asiatique et africain pour exporter ses ressources, notamment gazières.
Togo, Guinée-Bissau, Maroc : une absence qui en dit long
Plusieurs pays ont préféré ne pas voter. C’est le cas de la Guinée, de la Guinée-Bissau, du Maroc ou encore du Burkina Faso.
Après de nombreuses déroutes diplomatiques, notamment au Mali et au Tchad, Faure Gnassingbé a toujours du mal à se positionner. Le président togolais avait déjà voté en faveur de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël. Cette fois, le Togo a préféré éviter de voter, quitte à être accusé de fuite en avant.
Quant au Maroc, l’absence du royaume peut être considéré comme un manque de leadership. La stratégie diplomatique du Maroc semble de plus en plus brouillée. L’importation des céréales du Maroc des deux belligérants d’Europe de l’Est et la crise gazière après la rupture des relations avec l’Algérie poussent Rabat à réfléchir avant de prendre position.
Tunisie, Nigeria, Egypte… Ces pays qui condamnent la Russie
La liste des pays africains ayant voté pour la condamnation de la Russie surprend. Ainsi, le Nigéria, qui tente une entrée en force sur le marché gazier, a veillé à ne pas s’attirer les foudres de l’Occident en votant pour la résolution.
La position de la Zambie, qui a également voté en faveur de la résolution, interroge elle aussi. Mais en y regardant de plus près, rien d’étonnant lorsque l’on sait que le nouveau président zambien, Hakainde Hichilema, est un capitaliste convaincu, dont la première promesse électorale a été de réconcilier le pays avec le FMI.
Autre pays africain à avoir condamné la Russie à l’ONU : la Tunisie, qui se désolidarise d’une tradition diplomatique de neutralité. Autrefois, la Tunisie, n’ayant pas d’autonomie énergétique, avait l’intelligence d’user de cette neutralité au moment des votes sur les questions géopolitiques très complexes. Aujourd’hui, où en est-elle ? Après avoir échoué à s’attirer les faveurs des bailleurs occidentaux pour sauver les finances du pays, Tunis tente de se ranger du côté de l’Occident.
Comme l’Egypte, qui a également voté pour la résolution onusienne. Le Caire entretient des rapports solides avec la Russie, notamment dans les secteurs touristique et énergétique. Mais le président Abdel Fattah al-Sissi semble avoir choisi son camp, au moment où les nouveaux axes géopolitiques se dessinent. L’Egypte se range du côté de l’Europe, surtout. En effet, Le Caire a dépensé ces derniers mois des fonds colossaux dans l’armement, s’appuyant sur les armuriers français, allemands et britanniques.
Le Tchad, pourtant l’un des premiers partenaires de la Russie en termes d’armement et de formation militaire, a emboîté le pas à l’Egypte. L’influence de Paris sur le président de la transition Mahamat Déby a été efficace. Le Tchad condamne la Russie, quitte à renier son histoire : Idriss Déby avait en effet soutenu la Russie en 2014, après l’annexion de la Crimée.