Les Malgaches utilisent couramment les plantes médicinales pour se protéger des maladies. Face au Covid, le président s’est fait le porte-étendard de l’artemisia, devenu un enjeu diplomatique.
Le 21 juillet 2021, les médias rapportaient que l’actuel président de Madagascar, Andry Rajoelina, avait survécu à une tentative d’assassinat. C’est moins le contexte particulier de l’histoire politique et militaire malgache qui a retenu l’attention que le rôle joué par Rajoelina dans la lutte anti-Covid en Afrique.
Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes expliquent que c’est du fait de son action contre la pandémie que Rajoelina a failli être victime d’un sort tragique, comme l’ont été avant lui de nombreux présidents africains et afro-descendants. Voilà qui témoigne de l’image de l’île auprès de nombreux Africains : celle d’un pays qui a su résister à la pandémie par ses propres moyens, sans se plier aux injonctions occidentales.
Face au Covid, l’exception africaine ?
Il est vrai que la diplomatie sanitaire mise en œuvre par Madagascar au commencement de la crise sanitaire fit forte impression, projetant au-devant de la scène politique et médiatique africaine, voire mondiale l’île et son président Andry Rajoelina, élu président en 2019 à l’issue d’une crise électorale violente l’ayant opposé au président sortant Marc Ravalomanana.
En mars 2020, alors que l’Europe est déjà durement affectée par la pandémie de Covid-19, des discours alarmistes annoncent l’imminence d’une catastrophe humanitaire africaine, reproduisant une vision pessimiste imaginant toujours « l’Afrique à la place du mort »
La même logique est à l’œuvre 18 mois plus tard après la détection en Afrique australe du variant baptisé Omicron. L’Afrique du Sud et sept autres pays sont mis à l’isolement.
Toutefois, l’idée selon laquelle les pays africains pourraient être mieux préparés que l’Europe ou les États-Unis à affronter la crise sanitaire commence à émerger. Comme ses voisins africains, Madagascar aurait le bénéfice de la jeunesse de sa population et l’expérience de la médecine communautaire, en plus de la protection qu’offre son insularité.
Le 9 avril 2020, le président de Rajoelina déclare, lors d’une intervention télé et radiodiffusée, qu’une plante issue de la pharmacopée malgache, l’artemisia (Artemisia annua), fournirait le principe actif d’un traitement du Covid-19. Une dizaine de jours plus tard, il annonce lors d’une seconde intervention la distribution prochaine du Covid-organics (CVO) à la population de son pays. Andry Rajoelina fait, ce jour-là, la démonstration de l’innocuité de ce remède en absorbant publiquement quelques gorgées du breuvage. Le CVO, mis au point par l’Institut malgache des recherches appliquées (IMRA), prend la forme de sachets d’herbes sèches à infuser et de boissons embouteillées.
La médiatisation du Covid-organics
L’opération médiatique devient diplomatique le 29 avril 2020, lorsque le président malgache présente le CVO à l’issue d’une réunion du bureau de l’Union africaine. À la suite de la rencontre, des dirigeants africains et caribéens affrètent des avions à destination d’Antananarivo pour recevoir des doses de CVO : la Guinée, la République démocratique du Congo, le Sénégal, la Tanzanie, le Tchad, les Comores et Haïti comptent parmi les premiers récipiendaires du remède malgache.
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Cette opération de solidarité interafricaine, organisée à partir d’un pays souvent bénéficiaire de l’aide internationale, fit date. Les médias et réseaux sociaux en Afrique et en Europe commentèrent abondamment l’initiative malgache. Les réactions favorables semblaient venir principalement du continent africain ; la distribution du CVO s’inscrivait dans des débats sur l’autonomie sanitaire et l’indépendance politique et économique de l’Afrique. À Madagascar cependant, journaux et réseaux sociaux ne manquèrent pas de caricaturer la geste diplomatique présidentielle, manifestant des inquiétudes, voire des oppositions, face à la stratégie sanitaire naissante.
Dès l’automne 2020, la diplomatie du CVO est rendue obsolète par l’arrivée des vaccins. Fin novembre 2020, le gouvernement malgache, refusant un alignement sur le nouvel ordre sanitaire, annonce son refus de participer au Covax Facility, l’initiative globale destinée à immuniser les populations des pays les plus pauvres. Toutefois, le 20 mars 2021, Andry Rajoelina cède finalement en autorisant les vaccins contre le Covid-19 à Madagascar – non sans déclarer que lui-même et sa famille continueront à faire exclusivement confiance au CVO.
Le soin par les plantes à Madagascar
Dès le début de la crise du Covid-19 à Madagascar, les ventes de plantes médicinales augmentent ; leurs prix s’envolent.
Dans l’île, elles sont couramment employées comme remèdes. Il existe de multiples manières de se les procurer et de les préparer. Elles sont simplement récoltées aux abords des villages dans le cadre d’une médecine familiale, prescrites par les devins-guérisseurs ombiasy, vendues sur les marchés ou au bord des routes ; elles sont aussi transformées et conditionnées par l’industrie pharmaceutique locale.
Les itinéraires thérapeutiques combinent souvent différents types de soins, faisant du pluralisme thérapeutique la norme. Dès le XIXe, les thérapeutes dits traditionnels se sont approprié les traitements de la médecine européenne, comme l’a montré l’historien Gwyn Campbell.
Madagascar est dotée d’une flore endémique exceptionnelle. Des enquêtes ethno-pharmacologiques révèlent régulièrement les molécules efficaces et prometteuses extraites des plantes déjà en usage dans la pharmacopée malgache. Ironiquement, la plante devenue célèbre à la faveur de la crise sanitaire n’est, elle, pas endémique de Madagascar. Le CVO a pour principal composant actif l’artemisia annua – en fait originaire de l’Est de l’Asie et appartenant à la pharmacopée chinoise. Connue pour ses vertus antipyrétique et anti-inflammatoire, elle est utilisée depuis plusieurs années à Madagascar en traitement symptomatique du paludisme.
L’artemisia, principale substance active du Covid-organic
La culture et l’usage de l’artemisia sont soutenus sur le continent africain par une ONG française à travers un réseau de « maisons de l’artemisia », fondé par une humanitaire française. En octobre 2020, le chef de l’État annonce la création d’une entreprise de production de médicaments phytothérapeutiques, Pharmalagasy, spécialisée en produits « non chimiques », avec l’objectif premier de commercialiser le CVO en Afrique. Une stratégie industrielle et commerciale se dessine alors.
Plusieurs instances, comme l’Académie française de médecine, ont rejeté l’efficacité curative et préventive de l’artemisia, principale substance active du CVO, dans la lutte contre le Covid. Les évaluations positives et négatives du CVO ont été souvent interprétées à travers le prisme des relations internationales. La rumeur selon laquelle le président russe Vladimir Poutine avait exprimé son soutien au CVO connut un certain succès avant d’être démentie. Dans un entretien accordé à France 24, le président malgache assurait que les critiques européens du CVO trahissaient une incapacité à admettre un remède proposé par un pays plus pauvre.
Décoloniser la diplomatie ?
C’est à l’Afrique que la « mission » sanitaire malgache s’adresse d’abord. Cette posture diplomatique interroge au vu de l’ambivalence historique des relations de l’île au continent. La saga malgache du CVO a permis une reformulation momentanée des relations de Madagascar à l’Afrique – relations longtemps informées par les appartenances à la sphère d’influence française (désignée de manière élusive par le terme « Françafrique »
Les rapports entre Madagascar et l’Afrique ont été vécus dans une triangulation postcoloniale – la France faisant office de force médiatrice ou d’adversaire commun.
En 1963, Madagascar fait bien partie des membres fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), mais la diplomatie malgache s’est poursuivie dans la première décennie postindépendance dans une coopération étroite avec l’ancien pouvoir colonial. Comme le note Didier Nativel, Madagascar a fait le choix d’une proximité conservée avec la France, avant de s’engager dans un rapprochement avec l’Afrique de l’Ouest à travers ses institutions naissantes. La révolution socialiste de 1972 marque à ce titre un tournant dans la diplomatie malgache. Madagascar entre dès lors dans le camp des non-alignés sous l’impulsion de Didier Ratsiraka, futur président alors ministre des Affaires étrangères.
Des acteurs mieux connus, comme Cuba, ont depuis longtemps montré la voie d’un internationalisme médical à partir du Sud. La « doctor diplomacy » cubaine s’est ainsi distinguée dans des théâtres d’intervention en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie. Au cours de la première vague de la pandémie de Covid-19 au printemps 2020, les médecins cubains se rendirent d’ailleurs tant au Nord et que dans le Sud global. Ces déploiements humanitaires constituent des répliques efficaces à la colonialité des instruments diplomatiques (qu’ils relèvent de la religion, des droits humains ou de la santé globale).
Les discussions sur les brevets des vaccins contre le Covid-19 et les luttes d’influences entre puissances détentrices de ceux-ci, ont, a contrario, rappelé les termes scandaleux de l’impérialisme vaccinal. Les aléas de la campagne vaccinale à Madagascar, recourant au Covishield – un vaccin de composition identique à AstraZeneca mais fabriqué en Inde – ont fait craindre l’émergence de nouvelles frontières et illégalités en entravant les déplacements des vaccinés. En effet, la reconnaissance du vaccin Covishield par les pays européens fut retardée de plusieurs mois – la France ne le reconnaissant qu’au mois de juillet 2021. L’impact de ces tergiversations sur le scepticisme vaccinal à Madagascar n’a pas été négligeable.
La proposition diplomatique nouvelle se produit autour de l’héroïsation du président malgache. Andry Rajoelina a été présenté par certaines publications africaines comme un « nouveau Sankara ». Le président-martyr burkinabé, assassiné en 1983, prôna une défiance à l’encontre des aides extérieures et demeure aujourd’hui l’apôtre posthume d’une Afrique solidaire, émancipée et autosuffisante. À la fin du mois d’août 2020, le quotidien malgache Midi Madagasikara reprenait un sondage réalisé au Bénin dans lequel le président malgache était placé dans le top cinq des « visionnaires qui inspirent les jeunes générations » en Afrique. Les termes de « fierté » et de « dignité », rapportés à l’intervention présidentielle malgache, étaient alors récurrents dans les publications africaines et sur les réseaux sociaux sur le continent.
De l’usage des symboles d’indépendance
La séquence malgache de résistance à l’ordre sanitaire mondial a mobilisé différents aspects de l’imaginaire politique en Afrique et à Madagascar. L’opération panafricaine engagée par le président Rajoelina s’est inscrite dans une véritable stratégie de conquête et de consolidation du pouvoir. Dans leur livre L’énigme et le paradoxe, M. Razafindrakoto, F. Roubaud et J. M Wachtsberger relèvent une manipulation des symboles royaux dans la fabrication du charisme de Rajoelina, confirmée après son élection.
La construction controversée d’un « colisée » au site du Rova d’Antananarivo, l’ancienne enceinte royale, siège de l’empire merina, destinée à promouvoir la fierté nationale malgache, constitue un exemple d’appropriation de l’histoire royale modelée sur un symbole politique et culturel très eurocentré. Un article de novembre 2020 revient de façon critique sur la rétrocession par la France de la pièce décorative d’un dais royal, présenté comme le retour de la couronnede Ranavalona II. Nommant l’affaire « courronnavirus », l’auteur semble suggérer par l’usage de cet amalgame lexical fantaisiste un lien entre le recours aux symboles royaux et l’instrumentalisation de la pandémie.
L’opportunisme politique et économique a donné naissance à la saga du Covid-organic, une concoction devenue symbole de la résistance africaine. La stratégie diplomatique malgache a réussi à faire de Rajoelina un porte-étendard éphémère d’une autonomie sanitaire légitimement désirée dans un contexte d’inégalités globales accrues. Au risque toutefois de renforcer un scepticisme vaccinal déjà important sur le continent.
Cet article est publié dans le cadre du partenariat avec le blog de la revue Terrain.
Dominique Somda, Anthropologue, HUMA (Institute for Humanities in Africa), University of Cape Town
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.