Ce n’est qu’en accordant la priorité aux aspects civils de la gouvernance, tels que l’éducation et la santé, que l’État sera protégé des rébellions susceptibles de remettre en cause son pouvoir, écrit le chercheur Tim Glawion.
Ces derniers mois, des politiciens et des journalistes centrafricains ont partagé des images de militaires posant devant différents panneaux de la ville – apparemment comme preuve que l’État reprend le contrôle d’un pays pris dans une guerre civile depuis presque une décennie.
Celle-ci a commencé lorsque des groupes rebelles du nord-est du pays ont formé une coalition en 2012 pour renverser le président François Bozizé. Ils ont alors déclaré vouloir défendre les intérêts d’une population marginalisée qui réclamait plus de développement.
Il est fort probable que la rébellion ait cependant été déclenchée par la tentative de Bozizé de prendre le contrôle de l’activité minière lucrative des groupes armés.
Cette rébellion a rapidement pris de l’ampleur et a facilement submergé une armée centrafricaine faible qui n’avait aucun intérêt à défendre son dirigeant autocratique. Même si les rebelles ont été délogés de la capitale sous la pression internationale, et par une mission de maintien de la paix en 2014, ils restent actifs dans l’arrière-pays.
Si on jette un regard sur l’histoire centrafricaine, on se rend compte que le contrôle militaire a toujours été de courte durée dans ce pays vaste et peu peuplé.
Dans une étude approfondie qui compare la République centrafricaine (RCA) au Soudan du Sud et au Somaliland, j’ai découvert que l’empreinte de l’État dans les zones périphériques de la RCA était de loin la plus faible.
À mon sens, ce n’est qu’en accordant la priorité aux aspects civils de la gouvernance, tels que l’éducation et la santé ainsi que la construction d’infrastructures, que l’État sera protégé des rébellions qui remettent en cause son pouvoir, à l’avenir.
Une longue histoire de conflits
La République centrafricaine a pendant longtemps été considérée comme le point de rencontre de sociétés issues de différentes régions d’Afrique et, plus récemment, des colons européens. Ces rencontres ont souvent débouché sur des violences.
Au cours des siècles, les esclavagistes y ont traqué les populations locales, les sociétés concessionnaires françaises y ont imposé avec brutalité le travail non rémunéré et les milices étrangères y ont établi leur camp lorsqu’elles étaient chassées de leur propre pays.
De telles pratiques ont entraîné des divisions au sein des populations vivant à l’intérieur des frontières de la République centrafricaine, créée le 13 août 1960. Des débats houleux portant sur qui est ressortissant de souche par opposition au ressortissant étranger, sur les questions de statut et de famille ont eu lieu.
Les politiciens et les personnalités publiques remettent souvent en question l’identité centrafricaine réelle de personnes qui, selon eux, sont venues d’ailleurs ou ne parlent pas la langue nationale.
Les institutions publiques n’ont pas efficacement traité ces questions. Après la mort du héros fondateur de la nation, Barthélémy Boganda, peu avant l’indépendance, un petit cercle d’élites installé dans la capitale, Bangui, s’est concentré sur la conquête et le maintien du pouvoir.
David Dacko, qui est devenu président grâce à un accord douteux avec les parlementaires au moment de l’indépendance, a été renversé par un coup d’État perpétré par le commandant de l’armée Jean-Bédel Bokassa en 1965.
Bokassa a gouverné avec brutalité, et toute contestation de son pouvoir renforçait sa paranoïa. Il a été destitué en 1979 avec l’aide de la France, et remplacé à nouveau par Dacko. Ce dernier a été rapidement renversé par un autre coup d’état militaire d’André Kolingba en 1981.
Ange-Félix Patassé a remporté les élections en 1993 et s’est montré méfiant vis-à-vis de l’armée, convaincu que ses rangs comptaient des loyalistes présumés de Kolingba. Celui-ci a, en effet, tenté un coup d’État sans succès au début des années 2000. Mais c’est un autre commandant militaire, François Bozizé, qui a réussi à renverser Patassé avec le soutien du Tchad en 2003.
Compte tenu de ces antécédents historiques, les dirigeants successifs ont cessé de financer les institutions de sécurité. De ce fait, l’armée affaiblie a été incapable de faire face à la grande rébellion Seleka en 2013.
Depuis 2014, les capacités de l’armée ont à nouveau été renforcées grâce au soutien international.
Cependant, cette situation a donné lieu à une approche militaire consistant à exercer le contrôle de l’État. Les représentants du gouvernement critiquent régulièrement l’embargo sur les armes qui frappe leur pays et les empêche de progresser face aux rebelles. Les puissances étrangères tentent de s’attirer les faveurs du gouvernement en lui fournissant offrant de l’armement et des formations.
La mission de l’ONU surveille et met en garde contre les transgressions passées et actuelles de l’armée nationale. Cette dernière est ainsi devenue l’élément central de la négociation sur le rôle de l’État à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières.
Rétablissement de l’autorité de l’État
Le retour de l’État et surtout de ses militaires dans les localités périphériques est, effectivement, souvent invoqué par des gens sur le terrain, du ministre à Bangui à l’agriculteur de la région de Ndélé, dans le nord.
Toutefois, il ressort des discussions plus approfondies que les gens attendent de l’État – contrairement aux groupes rebelles et aux forces étrangères – qu’il s’occupe des questions qui leur tiennent le plus à cœur : l’appartenance et le statut.
Bien des gens ont des attitudes xénophobes à l’encontre des habitants d’origine arabe présumée – qu’ils appellent « Tchadiens ». Beaucoup d’autres sont prêts à accueillir les rapatriés déplacés dans les pays voisins en raison de la guerre civile, en espérant qu’ils contribueront à relancer l’économie.
Les Centrafricains s’attendent à ce que l’État ne soit pas simplement une puissance militaire, mais qu’il mène un débat ouvert sur la question de savoir ce que signifie être Centrafricain et qui a le droit de revenir au pays.
La population est lasse de l’impunité dont jouissent les auteurs de violences, alors que les groupes armés ont la mainmise sur de nombreuses régions. Elle attend de l’État non seulement qu’il reprenne le contrôle, mais aussi qu’il rende justice pour les crimes passés et mette fin à l’impunité à l’avenir.
Enfin, les services publics sont presque inexistants car l’État central n’a jamais cherché à développer les périphéries. Le conflit en cours bloque toute tentative de développement. Les personnes auxquelles j’ai parlé souhaitent que l’État consacre ses ressources au service public et fournisse des emplois et un statut à ses citoyens.
Compte tenu de l’histoire de la République centrafricaine, indissociable des groupes armés étrangers et des fréquents coups d’État au sein d’un cercle élitiste restreint, il n’est pas surprenant que ses citoyens doutent des intentions des acteurs actuels de rétablir l’autorité de l’État.
Pour obtenir le soutien durable de la population aux institutions mises en place – une armée nationale plus forte et une administration publique plus importante, il faudra s’attaquer aux problèmes d’appartenance, de statut et de service public. Une simple reconquête militaire ne créera pas de stabilité durable.
Tim Glawion, chercheur, Institut allemand d’études mondiales et régionales.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.