Le président du Togo fait surveiller plusieurs centaines d’opposants politiques grâce au logiciel espion Pegasus. Une arme redoutable pour tenter de conserver le pouvoir.
Chaque année, ou presque, le Togo doit répondre de ses actes quant à l’utilisation du logiciel espion Pegasus, de la société israélienne NSO. Et chaque année, ou presque, une nouvelle affaire liée à Pegasus enflamme les journaux de la place. Cette fois, on apprend que plus de 300 numéros togolais, qui appartiennent à des militants de la société civile, des journalistes ou des opposants politiques, sont surveillés par les services togolais de renseignement. Et si Lomé pourrait opposer l’imparable argument de la surveillance des djihadistes pour conserver sa sécurité face à la menace terroriste, il n’en est rien : les noms des personnes dont les téléphones ont été infectés par le logiciel espion israélien sont ceux de personnalités qui rêvent d’élections démocratiques et d’alternance. Parmi les noms cités, celui d’un chirurgien et syndicaliste, David Ekoué Dosseh, ou encore du journaliste d’investigation Carlos Ketohou.
Un espionnage qui donne lieu à la répression
De tous les chefs d’Etat qui décuplent le nombre de mandats autorisés en modifiant, à leur guise, la Constitution, Faure Gnassingbé est, de par son jeune âge, celui qui pourrait rester le plus longtemps au pouvoir. Le « jeune doyen », comme le surnomme l’un de ses mentors, Alassane Ouattara, alterne les hauts et les bas : fin 2017, on le pensait sur le départ alors que l’opposition et la société civile étaient sorties à plusieurs reprises dans la rue pour demander le retour à la Constitution de 1992. Une répression, jugée « sauvage » par l’opposition, avait permis au président togolais de rester en place. Depuis, Faure Gnassingbé, en termes de diplomatie internationale, navigue à vue. Une diplomatie sans stratégie qui a amené le président togolais à se mettre sous l’influence du « protecteur » Etat d’Israël. L’Etat hébreu voit en Lomé un hub régional pour étendre sa présence en matière de sécurité. Et avec Israël, qui dit sécurité dit espionnage.
Craignant, comme il le disait fin 2017, un « scénario insurrectionnel », le président togolais a serré, année après année, la vis. L’espionnage donne lieu à de nombreuses arrestations. On est loin de sa promesse de 2005, l’année de son arrivée au pouvoir après un tour de passe-passe institutionnel. « Faure Gnassingbé, ce sont les réformes politiques, la méthode du dialogue et la réconciliation », disait lui-même, en parlant à la troisième personne, le président togolais dans un entretien sur RFI. Quinze ans plus tard, le Togo est diplomatiquement isolé et Faure Gnassingbé est boudé par l’Europe malgré une tentative de jouer un rôle dans la transition malienne. Après l’avoir sorti du placard diplomatique pour cette tâche, Emmanuel Macron a de nouveau rompu ses liens avec le président togolais. Et dans l’affaire Pegasus, le chef de l’Etat français, lui aussi en train de se débattre avec des accusations d’espionnage, ne peut pas grand-chose pour Faure Gnassingbé.
Le Togo : isolement diplomatique et impunité
Reste une question : la présidence togolaise peut-elle surveiller les opposants politiques sans rendre de compte à personne ? Alors que le Maroc et la France sont sous pression, le Togo semble pouvoir agir en toute impunité. Certes, la diaspora lève le ton face au tour de vis sécuritaire de Faure Gnassingbé. Mais les instances africaines et internationales semblent ne même plus avoir envie de mettre en garde le pouvoir togolais. Comme si celles-ci étaient résignées par la présence de la même famille au pouvoir depuis un demi-siècle. Grâce à l’aide israélienne, le fils d’Eyadema Gnassingbé contrôle les faits et gestes de tous ceux qui rêvent d’alternance. Les journalistes qui enquêtent sur la corruption au sein du pouvoir sont également muselés. L’an dernier, Ferdinand Ayité, un journaliste d’investigation qui avait dénoncé des faits de corruption dans l’importation du pétrole au Togo, avait été arrêté.
Malgré les menaces qui pèsent sur eux, les militants d’une alternance continuent leur combat : le syndicaliste David Ekoué Dosseh a lancé une plateforme citoyenne, Togo Debout. Il réclame des élections transparentes. Mais grâce à Pegasus, les services togolais multiplient les actes d’intimidation : après Ferdinand Ayité, un autre journaliste a subi les foudres du pouvoir. Le journal de Carlos Ketohou a été suspendu. David Ekoué Dosseh a lui aussi dû répondre aux questions de la police, qui lui a montré qu’elle savait tout de lui. En échange de systèmes d’écoute et d’une diplomatie à l’ONU profondément pro-israélienne, Faure Gnassingbé s’assure le soutien sans faille de l’Etat hébreu. Sans faille, jusqu’à ce que Tel-Aviv se déploie ailleurs… Isolé diplomatiquement, le Togo ne compte désormais plus que sur l’espionnage israélien pour se défendre. Mais on le sait, en termes de diplomatie, Israël propose rarement des relations gagnant-gagnant.