L’insécurité au Nigéria a tellement proliféré que les forces de sécurité n’arrivent même plus à protéger le président. Le think-tank CIP estime que la tutelle des Etats-Unis sur la sécurité nigériane est en grande partie responsable de l’incompétence et de la corruption au sein de l’armée nigériane.
Dans la soirée de mardi, la présidence nigériane a confirmé l’attaque contre le convoi de Muhammadu Buhari. L’attaque a eu lieu en journée, alors qu’une partie de la délégation accompagnant Buhari traversait Dutsinma et se dirigeait vers Daura (Katsina), où le président sera vendredi.
Le convoi s’est retrouvé pris dans une embuscade lorsque des dizaines d’hommes armés ont ouvert le feu. Selon la présidence, ils auraient été repoussés par l’escorte du convoi. Mais les médias nigérians, notamment Vanguard et The Guardian, estiment que les assaillants se sont retirés lorsqu’ils se sont rendu compte que le président n’était pas présent sur les lieux de l’attaque.
Selon un bilan officiel, on dénombre « quelques morts » et deux blessés, qui faisaient partie du protocole de Buhari et de son équipe de communication.
Un attentat qui met en exergue l’insécurité au Nigéria, qui ne se limite pas au nord, où l’attaque a eu lieu. En effet, le Nigéria est assailli par les terroristes de Boko Haram dans le nord, mais également par les rebelles dans le sud et les « bandits » — des groupes criminels violents — un peu partout hors des métropoles de Lagos et Abuja.
Responsible Statecraft, appartenant au Quincy Institute, a lourdement critiqué la coopération sécuritaire entre le Nigéria et les Etats-Unis. Le média met en avant un rapport récent du Security Assistance Monitor (SAM) et d’autres think-tanks et universités, pour le Center for International Policy (CIP), l’une des organisations les plus crédibles dans le monde.
Une armée du Nigéria… made in USA
Le CIP s’est intéressé par le passé aux exactions américaines au Vietnam, au soutien de Washington pour l’Afrique du Sud lors de l’apartheid, aux Contras au Nicaragua ou encore à Tsahal en Palestine. Le think-tank travaille actuellement sur l’ASP, la poussée contre le soutien de la diplomatie américaine pour les armuriers privés qui fournissent les dictatures et les armées jugées corrompues.
Et selon le rapport du SAM, l’armée du Nigéria rentre dans cette dernière catégorie. Le think-tank accuse l’armée nigériane de faire perdurer l’insécurité au Nigéria. Il cite notamment 10 000 prisonniers présumés de Boko Haram morts en détention. Mais, également, les attaques contre les prisons et les kidnappings de masse que l’armée nigériane aurait facilités, voire activement soutenus.
L’organisation américaine explique que les Etats-Unis ont vendu plus de 2 milliards de dollars en équipements militaires à l’armée nigériane depuis 2017. Et entre 2000 et 2021, les Etats-Unis ont fourni plus de 40 000 cours de formation aux militaires nigérians, axés sur « le contreterrorisme et la protection des civils ».
Des armes qui « se perdent » au Nigéria
Un quasi-monopole américain dans la sécurité nigériane, qui n’empêche pourtant pas la recrudescence des attentats terroristes, des enlèvements, du trafic massif de drogues et de la criminalité en tout genre. Et, maintenant, des attaques contre le gouvernement fédéral… jusqu’à viser le président.
« Il y a peu de preuves soutenant que l’entrainement et les aides militaires américaines contribuent à améliorer la situation sécuritaire (au Nigéria). (…) Il existe, en contrepartie, des preuves sur les armes capturées par les insurgés de Boko Haram et de l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP). Allant jusqu’aux fusils d’assaut, munitions, tanks et autres véhicules », dit le rapport du SAM, qui affirme qu’« il y a également eu des rapports sur des systèmes d’armurerie lourde de la part de membres de l’Union européenne, saisis par Boko Haram ».
Lire : D’où viennent les armes illégales utilisées en Afrique ?
Le rapport accuse également l’armée nigériane, en particulier l’armée de l’air, de viser délibérément des civils, ainsi que d’effectuer des raids ponctuels pour déplacer les populations dans le nord du pays — 2,2 millions de déplacés selon l’ONU. Un exemple est donné : celui d’un bombardement en janvier 2017 qui a causé 170 morts de civils, dont 137 enfants dans un camps de réfugiés. Cette attaque est aujourd’hui imputée aux groupes armés. Toutefois, le SAM accuse l’armée de l’air nigériane d’avoir délibérément bombardé ces civils.
L’organisation préconise plus de mécanismes de transparence dans l’armée et le gouvernement nigérians. Mais conseille également aux Etats-Unis de coopérer avec les autres pays qui fournissent des aides militaires au Nigéria (Autriche, Brésil, Chine, Allemagne, Pakistan, Russie…).