Lumumba est l’un de ces rares hommes qui inspiraient intrinsèquement la loyauté des gens honnêtes et la haine des escrocs. Il a rallié le Congo par sa simple force de persuasion et son intelligence. Soixante ans plus tard, il reste un symbole de dignité.
Patrice Emery Lumumba est un autodidacte. Né en 1925 au Kasaï oriental (actuellement Sankuru), sur la terre bénie de l’actuelle République démocratique du Congo, Lumumba a vécu la quasi majorité de sa vie sous le joug du colon belge. A l’époque, la RDC est en effet une colonie du royaume de Belgique. Elle le demeurera jusqu’à l’année précédant son assassinat.
Patrice Lumumba a suivi une éducation pour le moins imparfaite, dans les écoles des missionnaires catholiques et ensuite protestants. Cela n’a pas freiné la volonté d’apprendre de Lumumba, qui s’était instruit en lisant des ouvrages de philosophie, d’histoire ou de poésie. Une fois sa formation accomplie, vers 1942, il est embauché comme secrétaire pour une société minière. Très proche des ouvriers, c’est à cette époque-là qu’il commence à militer, avant d’être licencié pour des propos jugés subversifs.
Trois ans plus tard, installé à Léopoldville (l’ancien nom de Kinshasa), il multiplie les jobs : employé de la poste, journaliste, représentant d’une brasserie… Ce n’est qu’au début des années 50 qu’il se posa fermement sur la scène politique.
La bataille
Il tisse alors un réseau clandestin de propagande politique et se fait de plus en plus d’amis dans les cercles libéraux de la résistance anticolonialiste. Paradoxalement, il porte des convictions panafricaines prononcées. C’est cette dualité, couplée avec son charisme, qui en a fait une figure qui va au-delà des affiliations politiques et surtout tribales.
En 1954, il reçoit l’immatriculation du gouvernement colonial, une distinction réservée aux autochtones pour en faire des natifs. Il est d’ailleurs l’un des rares à l’obtenir. Il rejoint cette année-là le Parti libéral du ministre Buisseret, et se prononce même… en faveur du pouvoir colonial.
Parallèlement, il rédige un ouvrage au titre plus qu’évocateur : « Congo, terre d’avenir, est-il menacé ? ».
Mais un séjour derrière les barreaux va bouleverser sa vie et son combat. Après avoir été emprisonné en 1956 pour s’être servi dans les caisses de la Poste durant sa carrière à Stanleyville, il est libéré sur parole en 1957. Il ressort de sa cellule avec des idéaux révolutionnaires.
La libération de Patrice Lumumba a lieu alors que des réformes concernant les droits politiques dans les colonies du Royaume de Belgique sont entamées. Lumumba en profite et participe alors aux élections régionales de 1957. Il est considéré comme libéral malgré ses tendances panafricaines, et son parti, moins véhément que les partis indépendantistes, fait une première percée électorale.
Mais lors de la Conférence panafricaine au Ghana, à Accra, il entame un virage inattendu. En 1958, alors qu’il vient de créer son propre mouvement à Kinshasa, le Mouvement national congolais (MNC), Lumumba rencontre Kwame Nkrumah. Sur invitation de ce dernier, il prononce alors son célèbre discours indépendantiste. Un discours qui va l’ériger en ennemi du Royaume de Belgique : « L’Afrique écrira sa propre histoire, et du nord au sud, elle sera une histoire de gloire et de dignité », dit-il notamment.
Des manifestations massives
La caractéristique la plus importante de Lumumba est sa lucidité : aucun autre chef révolutionnaire africain n’a été aussi critique envers les tendances autodestructrices de ses concitoyens. Il dit, entre autres que « la tragédie de l’Afrique est que les africains sont trop occupés à exalter les voleurs et diaboliser les saints ». Ajoutant que « le Tiers-Monde est un état d’esprit. Tant que nous, en tant qu’Africains, ne changeons pas notre attitude, et si un quatrième, cinquième et même sixième monde existe, nous en ferons part ».
Après la Conférence d’Accra, Lumumba retourne dans son Congo natal et y organise une manifestation massive, durant laquelle il appelle les Congolais à rallier son mouvement, le MNC, mais aussi à la liquidation du régime colonialiste.
Durant cette période, Joseph Kasavubu est sans aucun doute le plus agressif dans sa lutte contre la Belgique. En 1959, son mouvement, l’Association des Bakongo, qui réclame l’indépendance immédiate du Congo, voit ses émeutiers massacrées et son chef arrêté pour être déporté en Belgique.
Sept mois plus tard, en octobre 1959, le MNC de Lumumba organise le premier congrès national du mouvement. Les soldats belges ouvrent le feu, tuant des dizaines de Congolais. Lumumba est arrêté à son tour et condamné en janvier 1960 à six mois de prison.
Un homme, devenu symbole
Les autorités coloniales tentent alors de profiter de l’exil de Lumumba pour soumettre ce qu’il reste des indépendantistes congolais. Mais le Royaume de Belgique semble avoir sous-estimé la loyauté qu’inspire Lumumba et le soutien populaire à Joseph Kasavubu.
A peine quelques jours après la condamnation de Lumumba, lors d’une réunion de représentants belges avec la résistance congolaises, les chefs de la résistance se retirent de la salle de réunion. Leurs conditions pour commencer à négocier sont claires : ils demandent la libération immédiate de Patrice Lumumba et Joseph Kasavubu. Pour arriver à leurs fins, les résistants en appellent à la sédition générale dans le pays.
Etrangement, les paysans de l’est et du sud se mobilisent pour la personne de Lumumba, malgré les différences ethniques et sociales entre eux et le héros de la résistance, qui pouvait apparaître comme un conformiste à cette époque-là.
Le Royaume de Belgique n’a, face à une telle situation, pas d’autres choix que de libérer les chefs indépendantistes et d’offrir l’autonomie au Congo. L’indépendance fut alors conditionnée à la tenue d’élections nationales incluant tous les acteurs politiques.
Quelques mois plus tard, Les premières élections générales du Congo ont lieu. Et sans grande surprise, le MNC de Lumumba remporte la première place, suivi de près par l’ABAKO de Kasavubu. Afin d’assurer l’homogénéité politique durement acquise, les deux pôles de la politique congolaise s’accordent. Joseph Kasavubu est nommé président et Lumumba chef du Gouvernement.
Un éléphant à deux têtes ne marche jamais droit
Durant le mois de mai 1960, le mois des élections, les deux dirigeants ont presque échangé leurs positions sur l’échiquier politique : Lumumba et son MNC ont viré d’une gauche libérale à une extrême gauche transnationale, presque communiste et totalement panafricaine ; Kasavubu, lui, s’est attiré secrètement les faveurs de la bourgeoisie et des rémanents de l’aristocratie belge.
Lors de la célébration de l’Indépendance du pays le 30 juin 1960, le chef du gouvernement Patrice Lumumba prononce un discours véhément, dans lequel il dénonce le colonialisme belge, ses abus et ses crimes. Face à lui, le roi Baudoin n’en revient pas.
Pendant les quelques mois qui suivent, deux problèmes majeurs se posent à Lumumba : les nationalistes katangais veulent l’indépendance du sud, et le fédéralisme divise le pays. Durant le mois de juillet 1960, de grandes émeutes ont eu lieu au sein de l’armée. Beaucoup d’officiers belges sont tués par les soldats congolais, les autres sont envoyés en exil par Lumumba, au cours d’une manœuvre politique.
Le Congo-Kinshasa était alors au centre de la Guerre froide. L’OTAN, la CIA, le secrétaire d’Etat Mobutu Sese Seko et le chef Katanga Moïse Tshombé (appuyé par les Belges) écrivent à cette époque l’une des plus grandes conspirations de l’histoire africaine. Ce n’est qu’en 2002 que l’on a connu les détails de ce qui s’est passé, grâce à la fuite de documents de la CIA.
Alors que les Katanga et les Belges sont en guerre contre le gouvernement congolais, avec l’appui de l’OTAN, Mobutu prépare de son côté un coup d’Etat.
De peur des répercussions du conflit, le Président Kasavubu révoque Lumumba et les ministres du MNC. Des émeutes éclatent un peu partout dans le pays, et Mobutu lance son coup d’Etat, avec le soutien de Kasavubu, de l’OTAN et de la CIA.
La fin d’un mythe
Après ce coup d’Etat, Patrice Lumumba est assigné à résidence à Stanleyville. Il tente de rallier ses partisans mais tous se font arrêter et sont transférés à Elisabethville, où ils sont délivrés, ou plutôt offerts en gage d’amitié aux autorités du Katanga.
L’assassinat de Lumumba et de deux de ses partisans est une des épisodes les plus violents de cette époque. Ces trois-là sont torturés pendant toute une journée, par les chefs Katanga, Tshombé et Kimba. Le soir du 17 janvier 1961, Lumumba, M’polo et Okito sont fusillés. Le lendemain, les Belges déterrent les corps et dissolvent leurs carcasses dans l’acide.
Ainsi se conclut, dans les larmes et le sang, l’histoire d’un héros. Les conspirateurs ont tous été punis d’une manière ou d’une autre depuis. Le Congo, quant à lui, a connu 28 ans de guerre depuis… Voire plus.