L’avenir nous dira si ce nouveau régime militaire sera le tremplin de la « rupture » avec les « modèles de gouvernance » qu’il prétend incarner, écrit Adamou Gado Ramatou, docteure en Science Politique
À la suite du Mali, du Tchad et du Burkina Faso, le Niger est le quatrième pays du G5 Sahel (un cadre de coordination et de suivi de la coopération en matière de politiques de développement et de sécurité regroupant les pays ci-nommés et la Mauritanie) en proie à une prise du pouvoir par l’armée. Des forces de défense et de sécurité réunies au sein du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) ont proclamé, le 26 juillet 2023 à la télévision nationale, la destitution du président Mohamed Bazoum élu démocratiquement en 2021.
Selon le président du CNSP, Abdourahmane Tchiani (à la tête de la garde présidentielle depuis 2011), ce coup d’État serait justifié par « la dégradation sécuritaire » et « la mauvaise gouvernance économique ».
L’annonce des putschistes est intervenue à la suite d’une journée de tension et de « confusion » qualifiée au départ, de « mouvement d’humeur » de la garde présidentielle. Cette dernière détient, depuis le 26 juillet, le président Bazoum et sa famille au palais présidentiel. L’échec des tentatives de négociations internes et des condamnations régionales et internationales suivi du ralliement des forces armées nigériennes qui, au départ, soutenaient le régime en place, ont sonné le glas de la 7e République du Niger.
Mes recherches portent sur les questions de gouvernance sécuritaire en Afrique subsaharienne et les instruments régionaux africains contribuant au maintien de la paix et de la sécurité. Cet article explique d’abord comment les changements anticonstitutionnels de gouvernement sont loin d’être des phénomènes inhabituels au Niger. Il donne ensuite un aperçu des défis qui attendent les nouvelles autorités.
Coups d’État insolites ?
Depuis son indépendance, le 3 août 1960, le Niger a connu cinq coups d’État et d’innombrables tentatives de destitution des régimes en place dont les plus récentes datent de 2021 et 2022.
Les quatre premiers, que l’on pourrait qualifier de coups d’État « salvateurs », sont intervenus dans de contextes particuliers de crises alimentaire et sociopolitique graves.
Lors du premier coup d’État en 1974, les putschistes ont pris le pouvoir pour reprendre en main la gestion d’une crise alimentaire laissant les populations aux prises avec une faim aiguë, puis par la suite (1996, 1999, 2010) pour dénouer des situations de crise sociopolitique qui paralysaient les institutions de l’État.
Le cinquième, en date du 26 juillet 2023, est un cas insolite dans l’histoire des coups d’État au Niger et s’apparente à un affront à la démocratie (elle-même en crise en Afrique du fait des mauvaises pratiques des élites politiques), facilitée par un contexte régional favorable aux coups d’État et l’impuissance des sanctions régionales et internationales à rétablir l’ordre constitutionnel comme ce fut le cas au Mali, en Guinée et au Burkina Faso.
Bazoum assumait la présence des bases militaires étrangères sur le territoire nigérien dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il était décomplexé par rapport à la coopération militaire avec les Occidentaux qu’il jugeait nécessaire au regard des insuffisances humaines, matérielles et financières qui caractérisent le Niger et le Sahel en général.
Des arguments incompréhensibles
Assurément, l’opinion publique nigérienne est traversée par les courants idéologiques et les mouvements anti-français qui prévalent dans cette zone.
Par ailleurs, Bazoum avait affiché une certaine volonté d’initier une gouvernance inclusive et réformatrice. Dans ce cadre, il avait organisé des tournées inédites à l’intérieur du pays, des rencontres fréquentes avec les couches sociopolitiques et professionnelles. Il avait en outre tenté de régulariser les années universitaires et scolaires à travers le recrutement de 171 enseignants-chercheurs dans les universités publiques et de 2500 enseignants du secondaire.
À cela s’ajoutent, ces deux dernières années, des débuts de résultats sur le plan sécuritaire liés aux différents programmes de recrutement et de renforcement des capacités des forces de défense et de sécurité. Même si la gouvernance du pays présente encore d’importantes limites, ces initiatives avaient permis au Niger d’afficher non seulement, sur le plan sécuritaire, une certaine résilience par rapport au Burkina Faso et au Mali, mais aussi un climat sociopolitique apaisé.
Cela lui a valu une certaine mansuétude de la part des Nigériens pourtant extrêmement critiques vis-à-vis de son parti politique (le PNDS-Tarayya) et son prédécesseur Issoufou Mahamadou, au regard de l’exacerbation des mesures répressives contre la société civile, de l’affairisme, des pratiques corruptives et népotistes et la politisation à outrance de l’administration publique, sous son régime entre 2011 et 2021.
Que vaut dès lors un coup d’État, au bout de deux ans d’exercice, venant de fidèles compagnons militaires du régime ? Ont-ils oublié leur affiliation de douze années au régime politique qu’il discrédite aujourd’hui ?
Si le CNSP a justifié son putsch par la « dégradation continue de la sécurité » et « la mauvaise gouvernance économique et sociale », il représente aussi des intérêts particuliers à l’intérieur des Forces de défense et de sécurité. Ce coup d’État intervient, en réalité, dans un contexte précis de mouvement à la tête des FDS. Au Conseil des ministres du 31 mars 2023, Bazoum avait procédé à une nomination de nouveaux hauts responsables à la tête de l’état-major et du Haut commandement de la gendarmerie nationale, avec en perspective, d’autres changements principalement à la tête de la Garde présidentielle.
Le contexte d’avènement de ce putsch pose ainsi la question de la convergence de l’agenda des putschistes et celui des jeunes Nigériens qui fondent l’espoir sur un changement radical dans la gouvernance du pays. Malgré quelques acquis ces deux dernières années, celle-ci reste tout de même extrêmement délicate.
Espoir incertain
La légitimité populaire dont jouissent les juntes militaires, un peu partout en Afrique, est, en réalité, basée sur le rejet de la classe politique précédente et l’espoir d’un lendemain meilleur d’une population constamment éprouvée. En outre, aux yeux de certains, l’alternance par des moyens anticonstitutionnels (putsch, révolution, etc.) offre la perspective de changement plus rapide puisqu’elle peut favoriser une transformation révolutionnaire.
Dès lors, il n’est pas simplement question, pour les nouvelles autorités et celles qui suivront, d’attribuer quelques portefeuilles ministériels et emplois accessibles qu’à une catégorie restreinte de jeunes Nigériens. Il ne s’agit pas non plus de réponses essentiellement militaires à des préoccupations multidimensionnelles. Les liens de causalité entre l’insécurité et le désœuvrement des jeunes à grande échelle au Niger et au Sahel en général ont été largement documentés.
Il s’agit, pour les nouvelles autorités, de s’inscrire dans des initiatives de long terme favorables à l’émergence d’une nouvelle élite politique, de repenser la gouvernance du pays à travers une transformation profonde des politiques alimentaires, de santé, d’éducation, d’emploi, de lutte contre la corruption, le trafic d’influence et la politisation à outrance de l’administration publique, etc. Or, dans le contexte nigérien, rien ne laisse présager, pour l’instant, une telle dynamique.
Des élites discréditées
D’une part, les principaux auteurs du coup d’État sont issus de la vieille hiérarchie militaire aux pratiques douteuses (corruption, maladministration, etc.). Ils ont été longtemps au service d’élites politiques issues de la Conférence nationale souveraine de 1991. Ces élites sont aujourd’hui discréditées et rejetées au regard de leur faillite interne (série de crises politiques, népotisme, corruption, mauvaise administration, etc.) et leur position de dépendance accrue à l’égard de l’Occident.
D’autre part, les expériences ont aussi mis au jour les limites transformationnelles des régimes issus de changements anticonstitutionnels (Guinée, Mali, Soudan), à quelques exceptions près à l’instar du régime militaire de Seyni Kountché au Niger ou encore celui de Thomas Sankara au Burkina Faso.
L’avenir nous dira si ce nouveau régime militaire peut véritablement être le tremplin de la « rupture » avec « les modèles de gouvernance » qu’il prétend incarner. Et s’il fait preuve de transformations structurelles que la population lui attribue. Mais, faute de changement radical et éclairé dans la gouvernance, il est à craindre que la situation sociopolitique, économique et sécuritaire du Niger se dégrade davantage sous le regard impuissant d’une société civile peu outillée, une opposition politique quasi inexistante et un paysage politique profondément fragmenté (avec plus de 160 partis politiques au Niger).
Ces différents acteurs se sont illustrés ces dernières années par leur incapacité à exercer un contre-pouvoir et à contribuer à l’impulsion d’un renouveau de la politique de gouvernance au Niger.
Adamou Gado Ramatou, Dr. en Science Politique, Université Toulouse 1 Capitole
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.