Depuis plusieurs années, les Forces armées du Niger mènent une guerre contre les groupes terroristes. Des ONG dénoncent des crimes de guerre. La lutte antiterroriste au Niger est-elle un prétexte pour l’armée ?
« Le gouvernement du président Bazoum devrait prendre des mesures urgentes et ambitieuses pour inverser cette tendance et tenter de poursuivre en justice les auteurs de crimes de guerre, que ces derniers soient commis par les combattants islamistes ou les forces de sécurité ». Selon le chercheur Jonathan Pedneault, de l’ONG Human Rights Watch (HRW), depuis 2017, l’armée nigérienne a été à l’origine de plusieurs exactions dans un contexte global de lutte contre le terrorisme. Et depuis la prise du pouvoir par l’actuel président Mohamed Bazoum, la situation ne semble pas s’arranger.
Alors que le Niger accélère les négociations pour sceller des accords militaires avec la France, le comportement des Forces armées du Niger (FAN) pourrait bien peser dans la balance. Depuis avril 2020, le Niger enquête sur trois massacres de civils. Les FAN sont accusées d’avoir perpétré ces derniers. Et si Paris ferme les yeux sur cette affaire, c’est parce que la France cherche à retrouver son influence passée dans la région. « Les États européens refusent de conditionner effectivement leur soutien au respect des droits humains, dans la crainte de perdre de l’influence, face aux États-Unis mais surtout à la Russie, nouvel acteur de la région », avance Jair Van Der Lijn, chercheur du Stockholm International Peace Research Institute.
Des massacres de civils impunis
En mars 2020, à Inatès, une localité au centre du Niger, 71 des 102 civils disparus ont été retrouvés morts, dans des fosses communes. Attachés, les yeux bandés, ils ont été sommairement exécutés. La Commission nationale des droits humains (CNDH), qui menait les recherches des disparus, a conclu que ce massacre a été commis par les FAN. « Il n’y a aucun doute que les auteurs sont des éléments des Forces de défense et de sécurité du Niger », assure la CNDH. A Tahoua, à Tillabéry et à Diffa, HRW a dénoncé, entre 2020 et 2021, des dizaines de massacres commis par l’armée nigérienne.
Le 15 mars dernier, le Niger a connu l’épisode le plus sanglant de son histoire, avec le massacre de 137 civils. Les médias locaux et les organisations humanitaires estimaient même ce chiffre sous-évalué, et affirmaient que les terroristes de l’Etat Islamique – qui n’ont pas revendiqué l’attaque – n’avaient tué qu’une minorité des victimes. « Avec un nombre croissant de civils tués, des dizaines de personnes disparues et des attaques illégales de plus en plus nombreuses de la part des groupes armés islamistes, il est clair que les abus des uns engendrent les abus des autres », déplore HRW dans un rapport.
Malgré une tentative de coup d’Etat récente, les FAN jouissent d’une certaine impunité au Niger. Le président Bazoum avait mis en place le Haut-Commissariat à la Modernisation de l’Etat (HCME), qui devait épingler les dirigeants corrompus au Niger. Toutefois, les affaires concernant les violences militaires sont encore au point mort. « Le dossier avance tellement doucement qu’on pourrait dire qu’il est immobile », déclare simplement un magistrat nigérien à Médiapart.
Les alliés occidentaux peu regardants
Les alliés internationaux privilégiés des FAN, l’armée française en tête, ferment volontiers les yeux sur ces scandales et cherchent même à les étouffer. Les FAN sont d’ailleurs équipés par les pays occidentaux. Dans une vidéo datant de 2020, on aperçoit des soldats nigériens à bord de trois blindés Mamba MK7, made in USA, écraser deux présumés membres de Boko Haram, pourtant blessés et désarmés. En cinq ans, plus de 766 millions d’euros ont été dépensés par les pays occidentaux pour équiper les FAN.
La mise en œuvre du « mécanisme d’identification, de suivi et d’analyse des dommages causés aux civils », adopté par les pays du G5 Sahel en février 2021, n’est toujours pas visible sur le terrain. Si la France ralentit consciemment les enquêtes sur les exactions des FAN, un responsable du G5 Sahel, déployé au Niger, assure que Paris « craignait que ses propres soldats puissent être dans le viseur ».
Pour les diplomates et responsables occidentaux au Niger, ces faits sont inévitables, au nom de la sacro-sainte lutte antiterroriste. « Certains membres de la hiérarchie militaire sont protégés et cette impunité fait le jeu des djihadistes », affirme un juriste nigérien sous couvert d’anonymat. Un consultant en sécurité travaillant au Sahel va plus loin : « Dans la région, les principaux terroristes, ce ne sont pas les djihadistes mais les forces de sécurité locales, aidées par les Européens ».
Un frein dans la lutte antiterroriste
Face à ces exactions, l’Etat nigérien semble regarder ailleurs. Près de 20 % des recettes de l’Etat sont destinées à la défense. Mais une grande partie est régulièrement détournée. Si les FAN continuent de commettre des massacres de civils en toute impunité, elles sont également accusées de détourner des fonds. Pour Hadj Idi Abdou, un responsable de la société civile nigérienne, la corruption serait « banalisée » au Niger. « Une armée corrompue mine les efforts de l’Etat dans la lutte antiterroriste », assure Abdou.
En mai 2020, l’ancien président Mahamadou Issoufou avait limogé deux membres de l’état-major pour des détournements de fonds, dont son chef Boulama Issa Zana Boukar. Une affaire, également en suspens, visait un autre détournement de fonds au sein du ministère nigérien de la Défense.
Pourtant, lors de sa dernière visite dans la région sinistrée de Tillabéry, le président Bazoum s’est félicité : selon lui, le rapport de force aurait « changé en faveur de l’armée ». En juillet dernier, Bazoum déclarait également, aux côtés d’Emmanuel Macron, que le Niger serait la pièce maîtresse de la lutte antiterroriste au Sahel. Une promesse difficile à tenir avec une armée aujourd’hui accusée de crimes de guerre et de corruption.