Après la diffusion d’un enregistrement d’Abou Mosab al-Barnaoui, dans lequel il confirme la mort du leader de Boko Haram, Abubakar Shekau, peut-on confirmer la nouvelle ? Et que signifierait-elle ?
Le chef nigérian de Boko Haram, Abubakar Shekau, serait effectivement mort selon l’AFP. Le média aurait reçu un enregistrement d’Abou Mosab al-Barnaoui le confirmant. Deux collaborateurs d’al-Barnaoui auraient confirmé que c’était bien sa voix sur l’enregistrement.
Or, al-Barnaoui, fils de Mohamed Yusuf, co-fondateur du groupe terroriste Boko Haram, a été destitué en 2019. Les meilleures estimations seraient que Abou Abdallah Idrisa ait pris sa place à la tête d’une faction de Boko Haram. Cette dernière constitue aujourd’hui l’Etat Islamique dans l’Afrique de l’Ouest (EIAO). Et l’EIAO est organiquement le premier représentant de l’Etat Islamique (Daech) dans la région du lac Tchad. L’organisation terroriste est aussi en contrôle de deux groupes armés dans la zone des trois frontières, se situant entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso.
En effet, si l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) font encore cavalier seul. C’est justement car Boko Haram est désuni depuis 2016. A la suite de la « grande scission », al-Barnaoui et Abubakar Shekau se sont séparés. Shekau a gardé les commandes des vétérans du groupe terroriste. Alors qu’al-Barnaoui avait déclaré son allégeance à l’ancien dirigeant de Daech, Abou Omar al-Baghdadi.
Cela étant dit, al-Barnaoui n’est plus à la tête de l’EIAO depuis presque deux ans. De plus, il était le rival de Shekau bien avant cela. Donc confirmer la mort de Shekau, via une annonce de son ennemi, et la diffuser en plus, pourrait être considéré de plusieurs manières.
PT suivant un procédé similaire de fuite d'audios, j'avais eu l'occasion en 2016, grâce à une source propre, de suivre la destitution de #Shekau par l'#EI https://t.co/zXChidO9o7
— Wassim Nasr (@SimNasr) June 7, 2021
Une tentative de déstabiliser les forces de sécurité par Shekau ?
Al-Barnaoui avait perdu le contrôle de l’EIAO à peine trois ans après s’être séparé de Shekau. Premièrement, l’enregistrement fuité pourrait tout aussi bien être une tentative d’al-Barnaoui de se replacer au sein de la nébuleuse terroriste. Ce qui constituerait un appel aux antagonistes de Shekau pour retourner au Nigéria. Deuxièmement, et si une preuve tangible ne voit pas le jour, cela expose les Etats de la région à un coup de com, non sans précédent, qui avantagerait à la fois Daech et Boko Haram.
Selon les informations du Journal de l’Afrique, la présence d’al-Barnaoui a été confirmée en Afrique pour la dernière fois en décembre 2019. Depuis, des rumeurs circulent sur sa « retraite », en Arabie saoudite, comme par hasard. Il faut rappeler que le groupe d’al-Barnaoui, et maintenant d’Abou Abdallah Idrisa, est plus meurtrier que Boko Haram. Bien qu’initialement, la raison de la scission était le contraire, car certains terroristes considéraient Shekau trop éloigné de l’idéologie de Mohammed Yusuf.
Or, que l’on parle encore des deux groupes terroristes comme des ennemis soulèverait une problématique. Si Boko Haram et l’EIAO faisaient autant de dégâts en étant séparés, comment serait la situation s’ils étaient unis. Pendant ce weekend seulement, Boko Haram a tué des dizaines de civils au Nigéria, et Daech en a tué 138 (aux dernières estimations) au Burkina Faso.
Au vu de l’accélération des efforts de l’armée nigériane dans le Nord-Est du pays, l’annonce récente pourrait détourner l’attention de Shekau. Une diversion dont il aurait besoin pour se reprendre, s’il était blessé, ou pour redéployer ses troupes. Annoncer sa mort, sans preuves tangibles, pourrait donc être contreproductif. Surtout lorsqu’on sait que l’armée nigériane avait inspecté les lieux et conduit une enquête, hélas, infructueuse.
Donc si je comprends bien Shekau a dépassé le Nigeria,le Niger,le Tchad,le Cameroun,la France,les USA,la Centrafrique au point où il n' y avait qu'une fraction rival pour l'atteindre massah.
— N.Fabrice (@FabriceStphane1) June 3, 2021
La possibilité du retour d’al-Barnaoui ?
Une autre hypothèse existe. Boko Haram n’est pas le premier groupe armé à tenter de contrôler le Nord nigérian. Il y a deux siècles, Usman dans Fodio avait fondé le califat de Sokoto dans la même région. Pour Mohamed Yusuf, le père d’al-Barnaoui ainsi que le mentor de Shekau, l’objectif était de ressusciter l’empire de Sokoto le long de la bande sahélo-saharienne.
Or, les armées algérienne, tchadienne et malienne ont empêché Boko Haram de sévir au Nord. Et ce n’est que depuis le déploiement français au Sahel que Daech et Boko Haram ont commencé à répandre leur influence en Afrique subsaharienne. La désintégration de Boko Haram en 2016 avait causé la séparation entre Al-Qaïda et l’Etat Islamique en Afrique. Pour AQMI, Boko Haram portait une idéologie trop extrême…
Néanmoins, l’EIAO a montré ces dernières années qu’il était bien plus meurtrier que Boko Haram. Donc l’intégration des deux groupes pourrait signifier une seule chose : une montée des violences autour du lac Tchad, et le cumul des ressources des deux groupes terroristes. Il est de commun accord que l’EIAO est plus armé, et que Boko Haram est bien plus nombreux.
Donc, si les deux groupes terroristes actifs majeurs d’Afrique en étaient à fusionner, tous les Etats menacés seraient en mauvaise posture. Ce qui confirme que la diffusion de l’information de la mort de Shekau pourrait causer plus de dégâts que l’on imagine, même si elle est vraie. Bien que rien ne soit sûr pour le moment, le prétendu décès de Shekau est un message fort de recrutement pour Idrisa, ou al-Barnaoui s’il sortait de « sa retraite ». Si Abubakar Shekau s’avère en vie, ce serait la 45e annonce de sa mort ou blessure en 12 ans.