L’Allemagne a reconnu le génocide des Héréros et des Namas, et offert une somme de 1,3 milliards de dollars. Un dédommagement jugé inadéquat par l’opposition namibienne. La chefferie locale a toutefois imposé des conditions.
Le ministre allemand des Affaires Etrangères Heiko Maas avait conclu un accord à huis-clos avec le gouvernement de la Namibie. Il a déclaré fin mai : « Nous qualifierons officiellement les évènements pour ce qu’ils sont, un génocide ». Ainsi, le massacre des Héréros et des Namas par l’armée coloniale allemande est devenu le premier génocide européen en Afrique du XXe siècle.
Dans un geste symbolique, l’Allemagne a aussi offert 1,3 milliards de dollars déboursés sur 30 ans. En précisant, de surcroît, qu’il ne s’agit pas d’une compensation. Paradoxalement, Maas affirme que la somme serait investie « en faveur des populations touchées » par le génocide.
Les pourparlers entre la Namibie et l’Allemagne, tenus secrets sur demande du gouvernement namibien, ont causé un tollé dans le pays. La présidence namibienne, clairement surprise par la déclaration unilatérale de Heiko Maas, a déclaré le même jour que des discussions nationales seront tenues. Néanmoins, la société civile et la classe politique se sentiraient « trahis » par leur gouvernement. Et l’Etat namibien est maintenant confronté avec une énorme vague de contestations.
Viewpoint: Why Germany's Namibia genocide apology is not enough
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— BBC News Africa (@BBCAfrica) June 1, 2021
L’élite politique scandalisée par cet « accord de piètre qualité »
Cela a commencé par l’avocat Vekuii Rukoro, chef du conseil héréro. Il avait qualifié l’accord avec l’Allemagne de « la mise en vente de la souffrance d’un peuple ». Rukoro a été le premier à poursuivre l’Allemagne devant les instances internationales. Il a même réclamé des sanctions contre l’Allemagne, en plus des excuses officielles.
Depuis le 27 mai, la mobilisation de la société civile en Namibie s’est accélérée. Lors d’une session parlementaire tapageuse ce lundi, avec le dossier mémoriel à l’ordre du jour, les députés de l’opposition se sont succédés au pupitre. Accusant le gouvernement de mettre les familles des Héréros et des Namas tués à l’écart.
Dès la prise de parole de la Première ministre, Saara Kuugongelwa-Amadhila, elle a commencé par appeler à l’apaisement. Elle a déclaré : « Il est important que nous restions unis sur cette question. Poursuivons jusqu’à trouver un accord logique ». Toutefois, l’opposition a dénoncé que l’Etat ne puisse plus revenir en arrière sur l’accord. Le député de descendance nama, Edson Isaacks du mouvement des Peuples sans Terre (LPM), a appelé au calme dans la salle. Il s’est ensuite adressé à la ministre en disant une seule phrase : « Vous avez signé un accord de piètre qualité ».
La cheffe de son parti, l’activiste Utaara Mootu, a déclaré : « Vous nous avez privé de l’occasion de raconter le traumatisme causé par le génocide. Ainsi que ses répercussions économiques ». Le chef de l’autre parti d’opposition, Josef Kauandenge (NUDO), a déclaré : « Nous ne signerons des accords officieux et injustes que nous n’avons pas négocié. L’Allemagne et le gouvernement namibien peuvent le signer. Mais la grande majorité des Namas et des Héréros le rejettera avec le mépris qu’il mérite », a-t-il affirmé.
Germany has officially recognized colonial-era atrocities in Namibia. But for some, reconciliation is a long way off https://t.co/X8QnYEQ1OM
— TIME (@TIME) June 2, 2021
La situation économique, un facteur incontournable
Le gouvernement namibien a perdu beaucoup de support au Parlement à cause de cette histoire. Il doit aujourd’hui composer avec une majorité parlementaire hostile. Mais surtout, la chefferie locale a démenti les propos du gouvernement, ce qui a créé un scandale sur la presse nationale.
En effet, la Première ministre Amadhila avait déclaré que les communautés affectées ont été consultées lors des négociations. Ce que les représentants héréros et namas ont réfuté. Le vice-président de la Namibie, Nangolo Mbumba a donc rattrapé l’erreur de communication. Déclarant que « la compensation n’est pas suffisante, mais elle sera réexaminée au fur et à mesure du déploiement du financement ».
Le gouvernement aurait tenté de renégocier la période de versement à la baisse, selon Rukoro. Il est clair que pour l’Etat, la somme ne relève en rien du devoir mémoriel. Le pays, qui connait une récession et peine à trouver des prêts à des conditions favorables, verrait dans la somme offerte un fusible financier non négligeable.
Pour rappel, le PIB de la Namibie est de 12 milliards de dollars, avec un indice de développement humain de 0,65. Le pays a un revenu moyen par habitant quatre fois supérieur à la moyenne de l’Afrique subsaharienne. Toutefois, les inégalités causées par l’apartheid résident encore en Namibie. 0,8% des ménages, presque tous de descendance afrikaner, consomment autant que 50% des Namibiens dans une situation précaire. Parmi ces derniers, les Namas et les Héréros sont les plus touchés. Pour cette raison, bien que la chefferie locale ait accusé la Première ministre d’avoir menti, elle a accepté l’arrangement avec l’Allemagne si les fonds étaient versés à leurs fiefs.
Today I found out and went down a rabbit hole about Germany’s colonization of Namibia & how concentration camps from the Holocaust were practiced & perfected on Namibians decades earlier.
— sash (@sash_3) June 2, 2021