Jeudi, des bombardiers B-1 Lancer, des F-35 américains, des Rafale et des Mirage français ont décollé depuis le porte-avions britannique HMS Queen Elizabeth, de retour en Mer rouge en début de semaine, et ont atterri au camp Lemonnier à Djibouti.
C’est une démonstration de force que vient de faire l’aviation de l’OTAN, ce jeudi, dans les cieux de Djibouti. C’est en effet la première fois que l’on revoit voler « the Bone », le B-1 Lancer américain, depuis 2011. C’était alors le début de la guerre de Libye. La sortie du bombardier est souvent annonciatrice de temps de guerre. Or, lors de la parade de l’OTAN dans les cieux djiboutiens, ce n’est pas un mais sept B-1 Lancer que l’on a pu apercevoir.
De quoi impressionner les spécialistes : pour l’invasion de Baghdad en 2003, seuls trois de ces bombardiers avaient été utilisés pour attaquer la capitale irakienne. Lors des mêmes exercices de l’OTAN, des Rafale et des Mirage 2000 de l’armée française étaient également de la partie. Ainsi qu’une quarantaine de jets et de bombardiers, transportés par un porte-avions britannique, et qui ont atterri sur la piste du camp Lemonnier, la base d’AFRICOM à Djibouti.
« Nous saluons cet évènement, qui est le symbole de notre engagement commun en faveur de la paix dans la Corne de l’Afrique ainsi que sur l’ensemble du continent africain », a affirmé le commandant des forces françaises à Djibouti, le général Stéphane Dupont, après cet exercice. Côté américain, le directeur d’AFRICOM, Gregory Anderson, a déclaré que « la mission a servi de représentation visuelle de l’engagement des participants (France, Royaume-Uni et Etats-Unis) en faveur de la stabilité et de la sécurité dans la Corne de l’Afrique ».
Vers une opération en Ethiopie ?
Mais alors que l’Occident ne cesse de menacer le régime éthiopien d’Abiy Ahmed, engagé dans une guerre civile contre les séparatistes tigréens, cet exercice à 600 kilomètres d’Addis-Abeba ressemble à une menace. D’autant que les bombardiers en question sont conçus pour les frappes nucléaires et le largage de bombes à hydrogène à chute libre de plus d’une tonne par bombe. Autant dire que l’arsenal à la disposition de l’OTAN est prévu pour bien plus que la « stabilité » et la « sécurité » de la région…
Les bombardiers B-1 ont, en effet, été utilisés à cinq occasions seulement : en 1998 et en 2003 contre l’Irak, en 1999 en Yougoslavie, en 2001 en Afghanistan et en Libye. Comment expliquer, alors, que les Etats-Unis envoient sept de leurs 45 précieux bombardiers à Djibouti ?
Les Etats-Unis, qui ont échoué à faire condamner l’Erythrée et l’Ethiopie par le Conseil de sécurité de l’ONU, après une succession de vetos chinois et russes, ont imposé des sanctions au régime en place. Après l’embargo économique de juillet et l’arrêt des aides financières en août contre l’Ethiopie, l’Erythrée a fait l’objet des mêmes sanctions ce vendredi 12 novembre. Joe Biden a aussi annoncé que des sanctions supplémentaires étaient « en suspens », afin de laisser une marge aux autorités éthiopiennes de commencer « de vrais pourparlers » qui « doivent aboutir à un cessez-le feu ».
Jusque-là, aucune intention d’action militaire n’a été exprimée par les Etats-Unis. Toutefois, si l’exercice militaire de jeudi prouve une chose, c’est bien que les pays de l’OTAN se préparent à la guerre… et s’en donnent les moyens. Habituellement, les Etats-Unis tentent de former une coalition avec leurs alliés occidentaux avant de proposer une action de l’OTAN. La présence de l’armée française et britannique, avec autant de moyens, à Djibouti, pose question.
Le porte-avions britannique ayant transporté les avions à Djibouti était affecté au contrôle des eaux somaliennes pendant plus d’une décennie. Quant aux avions français, ils proviennent plus que probablement de Sardaigne, de Chypre ou du Liban, où les forces de présence françaises et britanniques sont souvent déployées avant d’être affectées.
L’Ethiopie mise à mal
Du côté éthiopien, aucune intention de concession n’a été exprimée. Depuis trois mois déjà, l’armée éthiopienne a subi un revers dans la guerre du Tigré. Malgré tout, Abiy Ahmed n’a pas avancé quant à un éventuel cessez-le-feu. Et du côté tigréen, la campagne militaire ne s’arrête pas : le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) a continué son assaut depuis la prise de Mekele, la capitale tigréenne, s’étendant vers le sud. Actuellement, une grande partie de la région de l’Afar est sous contrôle du FLPT, ainsi que le nord d’Amhara, la région dans laquelle l’armée a fait le plus de dégâts dans cette guerre qui dure depuis plus d’un an.
Le Premier ministre éthiopien, à peine reconduit à son poste après une victoire électorale aux législatives de juin dernier, a appelé à ce que les civils des deux régions attaquées « s’arment et se défendent ». Il a aussi obstinément refusé toute médiation internationale, son gouvernement accusant l’Occident d’opérer « une propagande contre l’Ethiopie ».
Pendant ce temps, les morts civils se comptent par dizaines de milliers, et le black-out médiatique est total. Les autorités éthiopiennes en sont arrivées à arrêter des employés d’ONG apportant de l’aide humanitaire et à en torturer certains — 72 employés du Programme alimentaire mondial (PAM) —, que le régime accuse de transporter des armes vers le Tigré.
L’Etat éthiopien cèdera-t-il face à la menace d’une intervention militaire occidentale ? Ou Abiy Ahmed s’assurera-t-il, à temps, un soutien international pour empêcher l’OTAN de passer à l’action ?