A quatre mois de la fin de la transition et des élections prévues en Libye, le gouvernement d’unité nationale (GNU) d’Abdel Hamid Dbeibah est-il dans l’impasse ? Gel politique, coupures d’eau et d’électricité, grogne populaire… Le processus de transition est-il mort-né ?
« Le parlement a échoué à voter sur le budget de l’Etat ». Le Premier ministre libyen, Abdel Hamid Dbeibah, découvre les difficultés de la vie parlementaire. Les députés, indique-t-il, « disent que nos propositions budgétaires sont irréalistes. Mais leur vraie intention est d’entraver les élections ». Pour la première fois depuis le début du processus de réconciliation nationale qui a abouti à la désignation de Dbeibah comme Premier ministre, ce dernier jette la première pierre à ses rivaux. Dbeibah et le président actuel Mohammed el-Menfi ont été élus par les délégués du Forum libyen pour diriger la transition au détriment d’Aguila Salah Issa, chef du parlement depuis 2014. Ce dernier, sous le joug de sanctions de l’Union européenne, soutient ouvertement l’actuel ministre de l’Intérieur, Fathi Bachagha, qui a déjà annoncé sa candidature aux futures élections. La pré-campagne risque-t-elle de tout gâcher en Libye ?
Avec le retour de Saïf al-Islam Kadhafi sur la scène politique, Aguila Salah sait que diriger le pays après décembre sera une véritable partie de jeu d’échecs. Jeudi dernier, le parlement libyen a menacé Abdel Hamid Dbeibah de porter au vote des élus une motion de censure à l’encontre de son gouvernement. Le différend budgétaire opposant les diverses factions aggrave l’impasse politique depuis plusieurs semaines. Or, le budget doit être voté à tout prix, notamment pour que les élections libyennes puissent avoir lieu. Un scrutin dont, au demeurant, on ne connaît toujours pas les modalités. Tant et si bien que l’on ne sait toujours pas s’il s’agira d’une élection indirecte, avec des délégués qui choisiront le président, ou d’une élection directe avec l’appel du peuple dans les bureaux de vote.
Une impasse politique qui ne peut pas durer
En Libye, la grogne sociale croissante pourrait bien être fatale. La crise de l’eau n’a toujours pas été résolue, et le pays fait face à des coupures d’électricité sporadiques depuis plusieurs jours. Des problèmes qu’Aguila Salah impute ouvertement au GNU d’Abdel Hamid Dbeibah. Le président du parlement a ainsi exigé, le 26 août dernier, que Dbeibah se présente devant la chambre basse pour être interrogé sur les résultats de son gouvernement. Il était également question, donc, d’une motion de censure. Une menace que Dbeibah prend mal : il a jugé « irresponsable » l’attitude du parlement dans son point de presse du dimanche 29 août.
Cette impasse politique met à mal le processus de transition piloté par l’ONU depuis des mois. Pour le Premier ministre libyen, « le problème des élections n’est pas logistique, mais législatif absolu. Nous avons présenté un véritable programme pour faciliter et mettre en œuvre le processus électoral ». Dbeibah, Salah et leurs alliés respectives pourraient provoquer la fin du cessez-le-feu conclu en octobre dernier. Pendant ce temps, les belligérants de la dernière guerre civile semblent avoir trouvé une issue à leurs différends : le premier soutien du maréchal Haftar, auteur de l’assaut de Tripoli, la Russie, se rapproche de plus en plus de Saïf al-Islam Kadhafi. Du côté de Tripoli, selon certaines sources sur place, la Turquie prévoit un retrait de ses instructeurs militaires et des milices syriennes déployées en 2019.
La crise algéro-marocaine joue-t-elle en faveur de Saïf al-Islam Kadhafi ?
Avec la Russie et la Turquie sur la même longueur d’ondes, l’héritier Kadhafi est de plus en plus présenté comme l’homme providentiel du pays. Les voisins immédiats de la Libye n’ont d’ailleurs montré aucune opposition à l’idée de voir Saïf al-Islam Kadhafi prendre les rênes du pays. Le récent rapprochement entre Mohammed el-Menfi avec l’Egypte, le Soudan et les médiateurs de l’Union africaine, ainsi que le soutien turc et occidental au GNU de Dbeibah pourraient permettre d’envisager un retour au pouvoir de Kadhafi. Ce dernier semble en bons termes avec la Russie, mais aussi avec l’Algérie.
Récemment, les voisins de la Libye ont montré leur souhait de voir l’Etat unifié. Car, alors qu’Aguila Salah et Fathi Bachagha s’appuient sur un soutien marocain, la récente crise entre le Maroc et l’Algérie influe aussi sur le dossier libyen : le nouveau ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, organisera une réunion des diplomaties des pays voisins de la Libye dans les prochains jours. Une liste qui exclut le Maroc, et, de facto, Salah et Bachagha. Des questions pressantes demeurent cependant : quelle place aurait Haftar dans un nouveau processus de transition en Libye ? Et Saïf al-Islam Kadhafi arrivera-t-il à réunir les nouveaux maîtres de Tripoli sans avoir recours à l’affrontement armé ? Le fils du « Guide de la révolution » n’aura en tout cas , aucun mal à s’octroyer le soutien de certains membres gouvernement et des tribus. Reste une inconnue : la position de l’Occident quant à cette option.