Un sondage OpinionWay montre que les élus du Parlement européen envisagent une solution africaine à la crise libyenne. Les parlementaires semblent avoir une vision floue de la situation sur place.
En juin dernier, les instituts de sondages OpinionWay et We are digital ont interrogé 101 députés européens, notamment français, allemands ou italiens, sur la situation en Libye. Si huit élus sur dix sont unanimes pour dire que la situation en Libye est « préoccupante » et estimer que le gouvernement libyen est actuellement « fragile », ils semblent également s’accorder sur le fait que le problème numéro 1 dans le pays est « l’instabilité́ et le terrorisme ». 72 % des parlementaires européens interrogés estiment par ailleurs que « la présence de forces étrangères en Libye est préoccupante ».
Côté politique, c’est le jugement quant au « rôle de chaque pays/organisation internationale en Libye » qui divise les élus. Selon eux, c’est l’Italie qui jouerait le rôle le plus positif en Libye. Or, l’Italie a un rôle politique moindre et vise plutôt le retour des projets économiques et de construction des infrastructures avec les entrepreneurs libyens.
Et alors que l’Union européenne tente de jouer sa partition en Libye, peu sont les parlementaires (26 %) à estimer que l’UE joue un rôle positif dans le dossier libyen. Les parlementaires semblent plus enclins à opter pour la solution africaine, l’Union africaine jouant selon 35 % d’entre eux un rôle positif en Libye, devant l’Organisation des Nations unies (33 %).
La solution africaine, seule solution ?
Et si l’Europe devait laisser la main à l’Afrique dans ce dossier ? C’est ce que semblent suggérer les parlementaires, qui sont 47 % à estimer que « la stabilisation de la situation politique en Libye est pour l’Union européenne (UE) un enjeu important mais pas prioritaire ». Ils sont même près d’un tiers à l’estimer « secondaire ». Preuve de la politique d’ingérence de l’UE, les députés européens pensent cependant à plus de 70 % que l’Europe doit « contribuer à la préparation de l’élection présidentielle en Libye » et « participer au contrôle de la transparence de l’élection présidentielle en Libye ».
Mais ils sont également un tiers à penser que la tenue des élections en décembre prochain est impossible. Et parmi les candidats les plus sollicités pour participer à la présidentielle, on retrouve en tête le maréchal Haftar (74 %), suivi de Fathi Bachagha, actuel ministre de l’Intérieur du gouvernement d’union nationale (65 %). Saïf al-Islam Kadhafi arrive en quatrième position avec 51 % des parlementaires européens qui estiment qu’il doit se porter candidat. Haftar est d’ailleurs la personnalité qui pourrait, le mieux, lutter contre le terrorisme en Libye et initier la réconciliation nationale, estiment les élus européens.
L’Algérie prend les choses en main
Le constat correspond finalement à la politique européenne en Libye. Si, depuis l’aboutissement du dialogue national conduit par le Forum libyen de Genève en octobre 2020, l’UE semblait avoir la main sur le calendrier de la transition libyenne, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Derrière Khalifa Haftar se range une France cherchant à se réimposer. Surtout depuis que les Etats-Unis ont à nouveau mis la main sur le marché pétrolier.
Du côté de l’ONU, le constat est clair : l’Europe ne peut plus avoir d’influence sur le théâtre libyen. Le Sommet de Berlin, après ses deux échecs, a été de facto remplacé par le Sommet des voisins de la Libye. Cette initiative de l’Algérie tire sans doute le tapis sous les pieds des participants au Forum de Genève, surtout depuis que les délégués libyens dénoncent ouvertement l’influence occidentale sur la démarche onusienne.
Les présences russe et turque dans le pays n’inquiètent pas les Libyens outre-mesure. Mais sur le plan diplomatique, l’Afrique a marqué des points. Deux protagonistes jouent un rôle clé : le ministre algérien des Affaires étrangères Ramtane Lamamra et le président de la Commission de l’Union africaine sur la Libye, également chef d’Etat du Congo, Denis Sassou N’Guesso.
La fin de l’interventionnisme occidental ?
Le président congolais a repris les débats en mains ces derniers mois avec deux rencontres fructueuses. La première avec le leader politico-religieux Farhat Jaabiri, la seconde avec le président du Conseil libyen Mohammed el-Menfi. Il faut rappeler aussi que « Denis Sassou N’Guesso avait, en 2011, réussi à convaincre Kadhafi de quitter le pouvoir, avant qu’une intervention française auprès du Conseil de la révolution ne sabote le projet », nous confie un haut diplomate proche du dossier. S’en était suivie une décennie de guerres montrant rétrospectivement que l’intervention occidentale n’a jamais rien apporté de bon à la Libye.
De son côté, le chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra, a organisé un Sommet des voisins de la Libye, grandement salué par l’Etat libyen. Grâce à un « backchannelling » très réussi, Alger a réussi à uniformiser les attentes africaines de la transition libyenne avec celles du Caire. Moyennant, évidemment, un contrat d’infrastructure qui devait rapporter 4,5 milliards de dollars à l’Egypte. Lamamra avait notamment visité treize pays africains en préparation de la prochaine réunion du Conseil de sécurité de l’Union africaine. Une majorité des Etats africains espèrent le retour de la concorde en Libye, avant les élections, afin d’éviter de potentiels troubles post-électoraux.
Toutefois, ces ambitions gênent la France et ses alliés. Afin de favoriser la candidature de Khalifa Haftar, le chef du parlement libyen, Aguila Salah Issa, a promulgué les lois électorales et fait voter une motion de censure contre le gouvernement. Salah s’était assuré préalablement un soutien européen, avec le Maroc dans un rôle de médiation. Salah s’était alors déplacé à plusieurs reprises dans le royaume et avait remercié « le rôle du Maroc dans la promotion de la paix en Libye ». Un rôle dont les contours restent toujours fugaces.