Le parlement libyen a approuvé la loi électorale pour l’élection présidentielle de décembre. S’appuyant sur des prérequis d’éligibilité abusifs, Aguila Salah tente d’écarter la concurrence. De son côté, l’ONU soutient Salah.
Jeudi dernier, le président du parlement libyen, Aguila Salah, approuvait la première loi de 2021… sans la soumettre au vote. Une surprise, d’autant qu’il s’agit sans aucun doute d’une des lois les plus importantes : celle qui régira l’élection présidentielle prévue en décembre prochain en Libye. Un texte rédigé de façon unilatérale, qu’on n’imagine pas avoir été décidé sans une approbation de l’Organisation des Nations unies (ONU).
L’initiative d’Aguila Salah étonne : la charte de cessez-le-feu en cours depuis octobre 2020 prévoyait en effet que les 75 délégués du Forum politique libyen soient à l’initiative de la loi électorale. Ces derniers avaient déjà nommé le chef du gouvernement et les membres du Conseil présidentiel actuels, en février dernier.
Le texte approuvé par Salah comporte 75 articles et prévoit le suffrage universel et le vote direct par le peuple qui choisira son président, alors qu’il avait été un temps question que ce soient les délégués régionaux qui décident du nom du futur chef de l’Etat.
Pour les élus, l’initiative de Salah ne passe pas. Un groupe de parlementaires a publié un communiqué dans lequel il estime que, « sans vote, cette loi est une violation de la déclaration constitutionnelle intérimaire, de l’accord politique et du règlement intérieur du parlement ». Du côté du Sénat, on accuse Aguila Salah de vouloir « entraver les prochaines élections en promulguant un texte de loi défectueux ». Car les articles sont sujets à de nombreux commentaires, en Libye…
Salah veut-il se débarrasser de la concurrence ?
Il n’y a pas que la démarche qui dérange. Les conditions d’éligibilité des candidats à la présidentielle sont en effet totalement désuets, selon les observateurs. Le futur président libyen, indique le texte, devra être « un Libyen musulman de parents libyens musulmans, ne pas avoir une nationalité étrangère lors de sa nomination, ne pas être marié à une non-Libyenne, avoir au moins 40 ans et un diplôme universitaire ».
La loi prévoit également que le candidat à la présidentielle Jouisse « de ses droits civils » et devra « ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou un délit déshonorant, être en bonne santé ». S’il s’agit d’un haut fonctionnaire de l’Etat, le candidat devra avant tout « démissionner de ses fonctions trois mois avant la date des élections », fixée pour le moment à la date du 24 décembre. Ce qui laisse aux responsables du gouvernement qui voudraient se présenter, pour démissionner, seulement… douze jours.
Des conditions d’éligibilité impossibles à remplir pour la majorité des personnalités influentes en Libye, donc. Et un texte presque taillé sur mesure contre Saïf al-Islam Kadhafi, Khalifa Haftar ou encore Abdel Hamid Dbeibah. De plus, sur le plan de la sémantique, cette loi exclut les femmes, les détenteurs d’une double nationalité et de nombreux autres profils qui se seraient bien présenté à la présidentielle libyenne. Sans oublier, évidemment, que l’on ne sait toujours pas quelles seront les modalités du mandat du président en Libye.
Une ingérence internationale flagrante
En s’octroyant le droit de choisir les conditions de candidature à la présidentielle, Aguila Salah favorise ainsi le seul candidat déclaré actuellement : le ministre de l’Intérieur Fathi Bachagha. Aguila Salah a-t-il véritablement agi seul ? Le fait que la loi ait été promulguée au lendemain de la visite de Josep Borell, Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, n’est pas anodin. Josep Borell a en effet déclaré la veille que le parlement libyen devait « faire son travail » et « prendre des mesures concrètes ».
Face au tollé général provoqué par ce choix unilatéral, le représentant de l’ONU en Libye, Ján Kubiš, a étonnamment défendu avec vigueur la nouvelle loi électorale. Devant le Conseil de sécurité, il a même admis que Aguila Salah l’avait « informé du contenu de la loi » avant sa promulgation. Un texte qui a donc bénéficié de l’appui onusien. Dans un tweet, Ján Kubiš a appelé « à soutenir la loi et à compléter les démarches nécessaires au processus électoral ».
A la suite des déclarations de Ján Kubiš, le représentant des Frères musulmans libyens au sein du Forum libyen du Dialogue Politique (LPDF), Abdul Razzaq al-Aradi, a démissionné. Il dénonce l’illégalité et le caractère unilatéral de la loi électorale, mais également l’ingérence de l’ONU et de l’Union européenne dans cette décision, qu’il considère « illégale et dangereuse ». A moins de trois mois d’un potentiel scrutin présidentiel, tout porte à croire que la tension continuera de monter dans les prochaines semaines. De quoi fragiliser un processus déjà très précaire.