Plusieurs pays africains, comme la Tanzanie, le Maroc, le Nigéria ou l’Egypte, voient le tourisme sexuel prendre de l’ampleur. Un fléau qui touche surtout les mineurs. Quelles sont les mesures prises contre ce phénomène ?
Contrairement aux pays d’Asie, d’Amérique latine ou encore d’Europe de l’est, connus comme des destinations privilégiées pour les touristes sexuels, plusieurs pays africains sont également confrontés à ce fléau, mais le considèrent comme un tabou. L’occultation de ce phénomène met en danger perpétuel les femmes, mais surtout les mineurs. Et du côté des pouvoirs, on tarde à prendre des mesures, craignant de toucher aux étrangers impliqués. Toutefois, la lutte contre l’exploitation sexuelle est mise en valeur, parfois artificiellement, avec des procès politiques dont les retombées sont souvent contreproductives.
Tanzanie : une lutte timide contre le tourisme sexuel
Selon les chiffres des Nations unies, 97 % des travailleurs du sexe — 160 000 personnes — en Tanzanie sont des femmes, dont 42 % sont mineures. Un programme de sensibilisation a été mis en place par le gouvernement en 2013, sur recommandation de l’ex-président Jakaya Kikwete. La prostitution dans le pays est illégale, mais elle est surtout pratiquée dans les complexes hôteliers de la partie continentale de la Tanzanie, non loin de la frontière avec le Kenya. Mais là où le phénomène est le plus visible, c’est à Zanzibar, où nombre de mineurs se livrent à la prostitution. Problème : les populations locales sont dépendantes des revenus du tourisme, si bien que l’Etat fédéral n’a pas véritablement envie de se lancer dans une chasse aux pédophiles.
Depuis la fin du mandat de Kikwete, les choses ne se sont pas améliorées. Le président John Magufuli, décédé ces derniers mois, avait lancé plusieurs vagues d’arrestations dans le nord du pays. Mais à Zanzibar, la pratique est restée courante. Un fléau sanitaire également : le tourisme sexuel en Tanzanie a historiquement causé la propagation du sida. Aujourd’hui, on compterait 1,8 million de Tanzaniens atteints par cette maladie. Un tiers des travailleurs du sexe seraient infectés. Mais cela est loin de décourager les milliers de touristes qui viennent profiter du tourisme sexuel dans le pays chaque année. Selon le Programme commun des Nations unies sur le sida (ONUSIDA), la majorité écrasante des touristes impliqués viennent d’Europe de l’Ouest — France et Italie surtout — et d’Amérique du Nord.
Au Nigéria, l’insupportable traite des humains
Un autre rapport, celui-ci datant de janvier dernier, établi par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), déplore une augmentation alarmante du tourisme sexuel dans les régions rurales du Nigéria. Le problème de l’exploitation des mineurs est encore plus accentué que dans n’importe quel autre pays africain. La cause, explique l’ONUDC, est que la prostitution des mineurs est souvent liée à la traite des personnes. « Les enfants représentent plus de 75 % des victimes de traite détectées en Afrique de l’Ouest (…). Au Nigéria, 62 % des victimes de traite des humains sont aussi victimes de prostitution forcée ou d’esclavage sexuel », estime l’agence onusienne.
L’Etat nigérian a cependant été réceptif au rapport. La ministre des Affaires humanitaires, Sadiya Farouq, a salué le document publié par l’ONUDC car il « fournit des informations précieuses à toutes les parties prenantes alors que nous continuons à faire face à des défis sans précédent en raison de traite des personnes ».
Au Nigéria, le tourisme sexuel est également très répandu dans le monde des affaires. Une affaire baptisée « Corporate prostitution » avait secoué l’opinion publique en 2004. Selon l’enquête d’une commission parlementaire, une majorité des femmes travaillant pour les institutions financières sont obligées de se livrer à la prostitution sur les lieux de travail. La même enquête met en lumière le faible pourcentage d’hommes nigérians travaillant dans les institutions bancaires et firmes de trading, alors que la majorité des femmes sont, elles, nigérianes. L’affaire avait conduit au retrait des licences de plusieurs traders et entrepreneurs occidentaux.
Maroc et Egypte : un tourisme sexuel… politique
Quant au Maroc et à l’Egypte, le tourisme sexuel est devenu un cliché. La prostitution est pourtant illégale dans ces deux pays. Mais les chiffres sont effroyables : dans le grand Caire, la Fondation Scelles relève entre 200 000 et 1 million d’enfants victimes d’exploitation sexuelle par des touristes, et un total de 1,6 million de travailleurs du sexe. Cela représenterait presque 2 % de la population égyptienne.
Au Maroc, il n’existe que les statistiques du gouvernement qui parlent de 50 000 femmes qui se livreraient à la prostitution. Cependant, le royaume chérifien semble minimise les chiffres. Notamment à cause du fait que les mineurs exploités dans le tourisme sexuel seraient en majorité des garçons. Une étude réalisée par l’Unicef, publiée en 2016, parle de 57 % de jeunes hommes victimes d’exploitation, dont plus du tiers ayant à peine 13 ans. Un dixième de ces travailleurs du sexe auraient commencé à se prostituer dès l’âge de 6 ans !
Au sein de la société civile marocaine, des voix se lèvent progressivement contre le tourisme sexuel. Plusieurs documentaires, films et études dénoncent la prostitution des jeunes hommes, mais également des femmes. Au centre du combat : l’impunité dont bénéficient les clients.
En effet, les étrangers ne sont pas véritablement inquiétés par les lois nationales, même celles concernant la prostitution des mineurs. En revanche, le trône chérifien n’hésite pas à lancer des scandales sur le sujet, de façon occasionnelle, pour promouvoir la politique du gouvernement. Le journaliste Soulaimane Raissouni, emprisonné depuis un an pour harcèlement sexuel contre une inconnue, est l’un des cas les plus célèbres. Le journaliste avait critiqué les « mensonges du gouvernement sur les statistiques de la pandémie de la Covid-19 ». Dans autre affaire, l’humoriste français Brahim Bouhlel a écopé d’un an de prison pour une vidéo dans laquelle il dénonce le tourisme sexuel au Maroc.
Comme au Maroc, en Egypte, les affaires de mœurs sont devenues des aubaines pour le régime autoritaire d’Abdel Fattah al-Sissi. Depuis 2018, pas moins de 23 influenceuses sur les réseaux sociaux ont été accusées d’« incitation à la débauche », ou encore de « corruption des valeurs familiales » et de proxénétisme. Alors que l’Etat égyptien ferme les yeux sur les dizaines de milliers de touristes exploitant les femmes et les enfants dans le pays, il use des lois contre la prostitution pour emprisonner des opposants.