Lors du 6e Sommet Europe-Afrique, la présence du président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et du Front Polisario Brahim Ghali a visiblement gêné les Européens.
Moins de deux semaines après des discussions houleuses au sein des commissions de l’Union africaine au sujet du Sahara occidental, lors de son 35e sommet, c’est aujourd’hui la participation de Brahim Ghali au Sommet UE-UA, ce jeudi et ce vendredi, qui n’en finit pas de faire polémique.
La présence du chef du Front Polisario et président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) à Bruxelles a, sans grande surprise, fâché le Maroc. Le co-président marocain de la commission parlementaire mixte Maroc-UE, Lahcen Haddad, a adressé une lettre aux députés européens. Il considère que la présence de Ghali lors de ce sommet « affecte la crédibilité institutionnelle de l’Union européenne tout entière ».
Entre poursuites espagnoles et menaces marocaines
Le diplomate marocain était visiblement remonté : il assure que « l’histoire nous a montré que la provocation a toujours été un facteur d’instabilité ». Une menace à peine voilée, alors que le chef de la diplomatie chérifienne, Nasser Bourita, préside la Commission mixte UE-UA sur la mobilité et la migration.
Le 17 mai dernier, alors que Brahim Ghali se faisait soigner en Espagne, plus de 10 000 migrants marocains, dont une majorité de mineurs, ont traversé la frontière vers l’enclave espagnole de Ceuta, face aux forces de sécurité marocaines qui ne sont pas intervenues.
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Une inaction du Maroc qui faisait alors office de réplique à l’hospitalisation de Brahim Ghali en terres ibériques. A la fin de ses soins, le leader sahraoui a finalement comparu devant un tribunal espagnol, devant lequel il devait répondre des accusations de crimes de guerre et de torture. Il a ensuite été autorisé à repartir, le tribunal ayant été incapable de formuler une accusation motivée.
La lettre de Lahcen Haddad a provoqué, néanmoins, une réaction auprès des eurodéputés, dont certains se sont dit « émus » de la présence de Brahim Ghali à Bruxelles.
Le représentant du Front Polisario en Europe, Oubbi Bouchraya, a insisté sur le respect de la liberté de mouvement de Brahim Ghali. Il explique aussi que Ghali ne s’est jamais défilé face à la justice. « Notre président a fait l’effort de répondre à la justice espagnole, dans des conditions de santé difficiles. Ça démontre sa bonne disposition, affirme-t-il. Nous avons pleine confiance dans la justice espagnole ».
L’Union européenne botte en touche
Mais finalement, ce n’est pas la légalité de la présence de Ghali en Belgique qui irrite les Marocains et les Européens, mais plutôt sa portée politique. Un communiqué de la délégation marocaine considère, certes, la présence du RASD au 6e Sommet UE-UA comme un « non-évènement ». « Cette entité a été invitée par l’Union africaine et nous savons tous les conditions dans lesquelles elle a été admise au sein de l’organisation panafricaine », déclarent simplement les représentants du Maroc.
C’est surtout du côté de l’Union européenne que l’on rejette la « responsabilité » de la présence sahraouie. En effet, le porte-parole de la Commission européenne pour les Affaires étrangères, Peter Stano, a préféré botter en touche, assurant que « cette invitation ne change rien sur la position de l’Union européenne sur le Sahara occidental. Aucun de nos Etats membres n’a reconnu cette république. Nous appuyons un processus pour trouver une solution sur le Sahara occidental dans le cadre des efforts des Nations unies ».
Ce que le diplomate rappelle, surtout, c’est que « l’Union africaine est chargée de l’invitation de ses membres et l’Union européenne ne peut pas interférer dans ce processus ». Pour l’UE, donc, la présence de Brahim Ghali relève totalement de la souveraineté africaine. Une position pour le moins inhabituelle pour le Vieux-Continent, qui n’hésite jamais à s’ingérer dans les affaires africaines.
Le Maroc en restera-t-il là ?
De son côté, l’Union africaine n’a pas eu à s’expliquer sur l’invitation de Brahim Ghali. La RASD est reconnue depuis 1982 au sein de l’organisation de l’unité africaine (OUA). Ce qui avait d’ailleurs provoqué le départ du Maroc deux années plus tard. La RASD toujours reconnue par l’UA, il a fallu attendre 2017 pour voir le Maroc retrouver sa place au sein de l’instance panafricaine.
Il n’empêche qu’au sein des organes de l’UA, la tendance est toujours au soutien du Polisario, malgré le lobbying marocain de plus en plus intense. Plusieurs Etats africains, dont l’Algérie et l’Afrique du Sud, considèrent le Sahara occidental comme « la dernière colonie d’Afrique ».
Depuis la signature du Maroc des Accords d’Abraham, ayant notamment amené à la reconnaissance d’Israël par Rabat, la position de l’Occident penche désormais largement en faveur du royaume chérifien. Si l’UE est ouvertement pro-marocaine sur le dossier sahraoui, surtout depuis la reconnaissance américaine de la « marocanité » du Sahara occidental, chaque pays du Vieux-Continent a un avis différent sur la question.
Alors que le 6e Sommet UE-UA devait permettre de discuter des dossiers d’ordres économique, sécuritaire, ou encore sanitaire, les sujets diplomatiques « qui fâchent », à l’instar du Sahara occidental, ont été habilement évités par les participants au sommet.
Certes, le Maroc ne s’est pas manifesté au-delà de son simple communiqué. Mais les conséquences de la RASD lors du Sommet UE-UA pourraient avoir des conséquences dans le futur. Les tensions entre le Maroc et certains pays européens — l’Espagne et l’Allemagne en particulier — étaient, ces derniers temps, en train de s’apaiser. Nul doute que le royaume saura, dans les prochains mois, rappeler sa désapprobation à ses amis européens.