L’agence de notation financière Moody’s a annoncé l’acquisition d’une majorité des parts de Global Credit Rating (GCR), la première agence africaine. Un pas vers le contrôle total de la notation financière des Etats africains ?
Alors que 95% de l’activité mondiale de notation financière était déjà concentrée entre les « big three » – comprendre les trois grandes, Standard & Poor’s (S&P), Fitch et Moody’s —, Moody’s compte engloutir l’unique agence africaine du secteur.
En effet, la succursale africaine de Duff & Phelps, Global Credit Rating (GCR), unique agence de notation financière basée en Afrique, verra 51 % de ses parts passer sous le contrôle de Moody’s dans les prochains jours. Cette offre publique d’achat (OPA) concerne les bureaux de GCR en Afrique du Sud, au Nigéria, au Kenya, au Sénégal, au Zimbabwe et à Maurice.
Moody’s ne s’en cache pas. Le directeur de l’agence pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, Scott Phillips, a déclaré que l’OPA de son agence visait le « soutien de la croissance des marchés de capitaux africains ». « Nous croyons vraiment en l’histoire de la croissance économique en Afrique. Nous voyons beaucoup de potentiel pour les marchés de capitaux sur le continent, et GCR est un champion africain dans ce domaine », a-t-il déclaré ce mercredi.
Néanmoins, « pas de bénévolat dans le monde des finances », nous confie un spécialiste. « C’est la suite logique de la politique de contrôle total et absolu des trois grandes sur la gestion des risques et la manipulation de l’analyse financière », confirme-t-il.
La fin de la lutte américano-chinoise pour le marché de notation financière en Afrique
La notation financière évalue le risque de non-remboursement des dettes des Etats, des entreprises ou des collectivités. Selon Christopher Alessi, du think tank Council on Foreign Relations, « c’est un marché oligopolistique, contrôlé par trois ou quatre entreprises dans le monde ».
Les évaluations des agences de notation ont de l’influence sur les choix des bailleurs, jusqu’à un niveau étatique. Par exemple, un pays ayant une notation favorable a plus de chances d’obtenir des fonds de la part des puissances mondiales ou des institutions internationales, comme le Fonds monétaire international.
En Afrique, l’hégémonie de Moody’s et de S&P a toujours été modérée par la présence du GCR. On peut remarquer aussi que dans les pays où GCR a un bureau, il est rare que les fluctuations des marchés financiers soient dissociées de la réalité des bourses nationales et de la situation économique véritable. Cependant, avec le rachat de GCR par Moody’s, cet équilibre risque d’être perdu.
Pour rappel, les parts africaines de GCR ont été au centre d’une guerre d’offres entre Moody’s d’un côté, et sa rivale chinoise Dagong. L’agence chinoise cherchait à la fois de mettre la main sur le marché financier africain, mais également de s’imposer sur le marché mondial où les trois entreprises américaines contrôlent 95 % des agences du monde entier !
L’hégémonie de Moody’s en Afrique est-elle limitée ?
Néanmoins, si l’on en croit Scott Philips de Moody’s, l’agence américaine « veut accroître sa pertinence sur le marché national des capitaux du continent. Mais n’interviendra pas dans la notation des émetteurs empruntant sur les marchés de capitaux nationaux en monnaie locale ». En effet, en raison de la nature des monnaies africaines, dont certaines ont une parité fixe avec des monnaies occidentales, Moody’s ne peut traiter que des notations pour les entreprises et institutions sur les emprunts internationaux. En d’autres termes, seulement les marchés qui ne soient pas comptabilisés en euro, en Franc CFA, ou certaines autres monnaies.
Pour rappel, Moody’s détient une majorité des parts dans l’agence égyptienne Middle East Rating and Investors Service (MERIS), depuis quelques mois. L’agence américaine continue ainsi, en Afrique cette fois, sa vague d’acquisitions. Moody’s avait racheté, ces quatre derniers mois des parts dans une cinquantaine d’agences de notation en Asie et en Amérique latine.
Scott Philips a déclaré que Moody’s ne prévoyait pas de commencer à fournir des notations de crédit pour les marchés de capitaux nationaux. Elle « laissera toujours cela entre les mains de GCR et d’autres agences nationales » acquis par Moody’s. « Toutes les choses qui font le succès de GCR aujourd’hui, comme l’équipe de direction, la population locale… Tout cela est vraiment le tissu, le fondement de ce qu’est GCR, et nous ne voulons pas changer cela », a déclaré Philips.
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Cependant, avec plusieurs pays africains cherchant à officialiser le retour d’activité du marché financier, avec la baisse globale des cas de Covid-19, Moody’s aura désormais le contrôle de l’attrait de ces pays pour les investisseurs étrangers. En se concentrant presque uniquement sur les niveaux d’endettement des pays, les critiques soulignent que les agences comme Moody’s obligent les pays africains à faire des choix difficiles. Qui se situent souvent entre dépenser leurs ressources limitées pour réduire la pauvreté et sauver des vies, ou rembourser des dettes dont les taux d’intérêts sont déraisonnables.