La hausse des salaires et la réorientation des investissements ont conduit à un recul des parts de marché de la Chine. Une opportunité pour le développement économique du continent africain.
Ce dimanche 20 novembre marquera la journée mondiale de l’industrialisation de l’Afrique célébrée annuellement par l’ensemble de la communauté internationale depuis son lancement par les Nations unies en 1989. Le sujet garde aujourd’hui toute sa pertinence tant le continent, et notamment l’Afrique subsaharienne, est resté jusqu’ici la périphérie de l’industrie mondiale.
Cependant, les évolutions structurelles récentes de cette dernière offrent à présent une opportunité historique de donner une impulsion à cette industrialisation africaine, comme nous le montrons dans l’étude « Quelles perspectives d’industrialisation tardive pour l’Afrique subsaharienne », récemment publiée par l’Agence française de développement (AFD) – à condition toutefois d’être en mesure de la saisir.
L’étude s’intéresse plus particulièrement à l’industrie légère, qui produit des biens de consommation et nécessite une utilisation limitée de capital. À ce titre, cette industrie légère a toujours été une activité à la recherche d’une main-d’œuvre abondante et de salaires bas, ce qui a provoqué un déplacement régulier à l’échelle mondiale de ses productions vers de nouveaux territoires plus attractifs et à y créer des emplois, souvent nombreux.
En règle générale, ces activités industrielles mobiles ont constitué la première étape du processus d’industrialisation des pays d’accueil, en particulier en Asie de l’Est. Dans cette perspective, la dernière étape marquante a été la constitution de l’« atelier du monde » chinois, dont les parts de marché ont atteint des niveaux impressionnants.
« L’après-Chine » a commencé
Après le Japon et les « dragons » asiatiques, la Chine a en effet atteint à son tour un sommet sur le marché mondial dans les industries de main-d’œuvre. Les salaires y ont progressé, les investissements se sont orientés vers des activités à plus forte valeur ajoutée, et les parts de marché de la Chine ont commencé à décliner dans l’industrie légère.
« L’après-Chine » a ainsi commencé dans ces activités intensives en travail et a déjà ouvert des marchés aux pays plus pauvres d’Asie. La filière habillement apparaît particulièrement concernée, ainsi que d’autres industries de main-d’œuvre comme les chaussures, le cuir, les meubles, etc.
En parallèle, du point de vue démographique, le XXIe siècle sera celui de l’Afrique. Alors que l’Asie a concentré les deux tiers de l’augmentation de la population active mondiale depuis 60 ans, dans les prochaines décennies, les nouveaux actifs seront principalement africains. En 2050, la population active de l’Afrique subsaharienne comptera 700 millions de personnes supplémentaires ; ce qui impliquera la création de plus de 20 millions de nouveaux emplois par an !
Le recul de la Chine dans les industries de main-d’œuvre ouvre donc des opportunités à d’autres pays en développement. Toutefois, le nombre de bénéficiaires de cette ouverture reste, pour l’instant, limité. L’essentiel du potentiel généré par le déclin chinois dans ces branches est en effet actuellement capté par une demi-douzaine d’exportateurs asiatiques, comme le Bangladesh, le Vietnam ou encore le Cambodge.
Si, dans une première phase, les exportations de ces producteurs se substitueront en partie à celles de la Chine, ils restent néanmoins bien plus petits et leur capacité d’absorption est limitée. Ces pays atteindront également un seuil de saturation, marqué par des augmentations de salaire, l’érosion de leur compétitivité et de leurs parts de marché. Ne pouvant plus absorber tout le recul chinois, ils libèreront alors des opportunités pour une nouvelle génération d’exportateurs.
30 millions d’emplois mobiles à l’horizon 2030
Dans cette seconde phase, à la fin de la présente décennie, exportations et emplois se déplaceront vers une nouvelle génération de producteurs. Notre étude estime, dans un scénario moyen, que près de 16 millions d’emplois formels et autant d’emplois informels seront concernés à l’horizon 2030, la plupart dans les branches textile-habillement-cuir, soit plus de 30 millions d’emplois cumulés.
Or, à cet horizon, ni l’Asie de l’Est, ni le Bangladesh, ni l’Afrique du Nord et encore moins l’Amérique latine ne pourront se substituer aux fournisseurs actuels. Le changement technique et les perspectives d’automatisation ne remettront pas en cause l’intensité en main-d’œuvre dans la production de vêtements, de chaussures, ou d’articles en cuir.
Les transitions vers des économies bas carbone (relocalisation, taxe carbone) n’auront en outre qu’un impact marginal sur la localisation envisagée de ces activités à l’horizon 2030. Il n’y aura pas de relocalisation significative au Nord. L’intensité en main-d’œuvre de ces productions restera en effet élevée et ne permettra pas de produire massivement dans des pays à salaires élevés ou intermédiaires.
Les avantages comparatifs dans ces branches se situeront alors en Inde ou en Afrique subsaharienne. Or, si l’Inde s’est affirmée jusqu’ici comme un producteur important, avec plus de 50 millions d’emplois dans l’industrie de l’habillement, le pays reste un exportateur modeste dont la part dans les exportations mondiales stagne. Ses productions visent d’abord le marché intérieur et sa compétitivité internationale est faible.
Certes, ces nouvelles opportunités ne peuvent certainement pas transformer l’Afrique subsaharienne en géant industriel ni résoudre le défi de l’emploi sur le sous-continent. Cependant, elles ouvrent bien la possibilité d’un doublement de l’emploi industriel actuel.
De 10 à 30 millions d’emplois pourraient être créés dans ces industries d’exportation vers 2030 dans des pays africains. Mais lesquels ? À ce stade, le raisonnement à l’échelle du continent trouve ses limites. Si ces emplois mobiles prennent la direction de l’Afrique ce sera, au moins dans un premier temps, vers un petit groupe de pays, qui apparaîtront plus attractifs et plus compétitifs.
L’enjeu principal résidera dans la compétitivité « hors usine ». À ce niveau, la crédibilité des incitations et la qualité des infrastructures, c’est-à-dire les politiques publiques, devraient faire la différence.
Marc Lautier, Professeur d’économie, Université Rennes 2 et Jean-David Naudet, Conseiller au directeur exécutif Innovations, recherche et savoirs, Agence française de développement (AFD)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.