130 pays et juridictions ont adopté le plan de réforme du système fiscal international. Mais l’OCDE a-t-elle pris en compte les désidératas des pays africains ?
Le 1er juillet, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’est félicitée que « 130 pays et juridictions ont adopté un nouveau plan reposant sur deux piliers qui vise à réformer les règles fiscales internationales et à faire en sorte que les entreprises multinationales paient une juste part d’impôt partout où elles exercent des activités ». La réforme comprend un taux mondial d’imposition d’au moins 15 % sur les bénéfices des sociétés. Une décision qui devrait permettre, selon l’OCDE, de « générer environ 150 milliards USD de recettes fiscales supplémentaires par an au niveau mondial ».
« Après des années de travaux et de négociations intenses, ce paquet de mesures historique garantira que les grandes entreprises multinationales paient leur juste part d’impôts partout dans le monde », affirme le secrétaire général de l’OCDE, Mathias Cormann. En termes de calendrier, les travaux techniques seront parachevés en octobre prochain, tandis que le plan de mise en œuvre sera effectif en 2023.
Vous avez dit « justice fiscale » ?
La réforme fiscale, assure Mathias Cormann, « prend en compte les intérêts de toutes les parties aux négociations, y compris ceux des petites économies et des pays en développement ». Mais est-ce vraiment le cas pour l’Afrique ? L’évasion fiscale, notamment de la part des multinationales, fait perdre chaque année au continent entre 30 et 60 milliards de dollars. En théorie, la réforme pourrait donc être bénéfique à l’Afrique. Mais en pratique, tout est différent. « De nombreuses multinationales ont recours à des filiales pour bénéficier de l’assistance technique ou du droit d’utiliser des marques. Ces services sont soustraits de la base imposable dans les pays africains, et comme ce ne sont pas de bénéfices, ils ne tomberont pas sous le coup de la réforme actuellement en cours de finalisation », prévient par exemple l’agence Ecofin.
La « justice fiscale » voulue par le ministre français de l’Economie et des Finances serait-elle donc un leurre ? Certes, un taux d’imposition fixé à 15 % peut permettre d’augmenter les bénéfices pour certains pays. Mais cette mesure doit s’accompagner de plusieurs autres, comme la promotion de la transparence internationale en matière fiscale et la garantie que les pays en développement bénéficieront de ces changements. Car sans transparence, c’est la porte ouverte aux pratiques d’optimisation fiscale, qui facilitent, selon l’ONG Oxfam, « la fuite illicite de quantités énormes de capitaux dans les pays les plus pauvres du monde. C’est ainsi qu’entre 2008 et 2010, l’Afrique subsaharienne a subi un manque à gagner de 63,4 milliards de dollars par an en moyenne, ce qui représente plus du double de l’aide reçue ».
Un taux d’imposition trop bas
Alors qu’Oxfam estimait que « la seule façon d’assurer que les pays en développement bénéficieront de ces réformes fiscales consiste à les associer au processus dès le premier jour », force est de constater que, malgré l’accord de 130 pays et juridictions, la réforme n’a pas véritablement été validée par les pays du continent. Pour preuve, l’essentiel des pays africains ne siégeait pas à l’OCDE lors du vote et le Forum africain de l’administration fiscale (ATAF) était le seul représentant africain. Celui-ci s’est d’ailleurs opposé à l’accord.
Notamment à cause du taux d’imposition de 15 %, jugé trop bas. Pour l’ATAF, un taux minimum de 20 % aurait été plus équitable. Surtout que, poursuit l’organisation, le mode de calcul et le manque de transparence ne jouent pas en faveur de l’Afrique qui, se plus, aura du mal à entamer la réforme, contrairement aux pays les plus développés. Même son de cloche de la part de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des multinationales, qui demandait un taux minimum d’imposition mondial « suffisamment élevé » pour garantir des revenus qui soient « significatifs », mais surtout « générés et partagés équitablement ».
En 2018, José Antonio Ocampo, président de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des sociétés, prévenait déjà que la « course au nivellement de la fiscalité vers le bas a des effets dévastateurs, en particulier dans les pays en développement, qui dépendent plus encore de l’impôt sur les sociétés ». Et l’expert de rappeler que, en Afrique, l’impôt sur les sociétés « représente entre 13 % et 18 % des recettes fiscales, contre 8,5 % dans les pays développés ». Or, prévenait-il, « des rentrées fiscales inférieures signifient moins de financement pour l’éducation, les soins de santé, les programmes de réduction de la pauvreté, l’infrastructure et la lutte contre les changements climatiques ».