En marge de la crise somalienne, la République du Somaliland semble se débrouiller mieux que les autres Etats du pays. En raison d’une histoire d’altruisme et de concessions, l’Etat a su rester soudé. Cette unité est cependant menacée.
Le Somaliland a autoproclamé son indépendance en 1991, après l’effondrement du régime militaire somalien qui a dirigé le pays pendant deux décennies. Une réunion de la chefferie locale des six régions du Somaliland a décrété l’indépendance de la Somalie le 18 mai 1991. Le Mouvement national somalien (SNM) a dirigé le pays jusqu’en 2010. C’est depuis que le parti Kulmiye, de Muse Bihi Abdi, dirige le pays. Bihi Abdi est actuellement le président du Somaliland, depuis 2017.
Même si le Somaliland n’est pas reconnu par la communauté internationale. Ce fait serait plutôt dû au refus général d’inclure l’Occident dans les affaires du pays. Plusieurs analystes considèrent l’Etat comme un havre de paix dans une Somalie et une sous-région déchirées par la guerre. Cependant, les vieilles rancœurs commencent à remonter.
Un Etat de droit
Certes, le pays a connu des affrontements entre des milices ethnocentrées par le passé. Cependant, le Somaliland a su retrouver son équilibre. Par rapport à la Somalie, le Somaliland n’a pas connu l’entrisme étranger dans son long voyage vers l’atteinte d’une unité nationale. C’est grâce aux référendums internes que le Somaliland a adopté sa propre version de gouvernement. Depuis la Constitution de 2001, les élections se sont même déroulées de façon démocratique et transparente.
D’abord, la première série d’élections entre 2002 et 2004 a été crédible, même aux yeux des instances internationales. Malgré le système électoral rudimentaire, le multipartisme était bien réel, et surtout sans ingérence étrangère. Le scrutin direct et secret, en plus de la culture référendaire, a fluidifié le processus électoral. Ensuite, un arsenal juridique a facilité le développement du multipartisme et l’alternance politique. Petit à petit, la structure des gouvernements locaux, l’administration et la vraie citoyenneté se sont installées dans un climat de paix, malgré les divisions. Un autre référendum a pallié ce défaut. Une révision constitutionnelle a limité le nombre de partis politiques à trois, afin d’empêcher les fractures sociales.
Le système électoral était le détail le plus inédit lors des élections locales de 2002. Les forces de l’ordre avaient bloqué les accès entre les régions, créant un espace hermétique de vote. Seuls les employés de la Commission des élections avaient accès aux centres de votes. Des envoyés des 6 formations politiques enregistrées ont fait office d’observateurs. Les votants ruraux ont donc été autorisés à voter sans carte d’enregistrement. Contrairement à certains pays africains, cette procédure était bien ficelée. Aucun parti n’a contesté le résultat des élections. Pourtant, quatre partis, dont celui actuellement au pouvoir, n’avaient remporté que très peu de sièges aux conseils régionaux.
Les gentlemen du Somaliland
Alors, ces premières élections ont ouvert la voie à l’élection présidentielle. Quelques irrégularités ont été notées toutefois. Et les deux candidats principaux, Riyale Kahin et Mahmoud Silanyo, se sont départagés devant la Cour constitutionnelle. Lorsque cette dernière a attribué la victoire à Kahin, Silanyo a concédé pacifiquement sa défaite. Silanyo était le candidat du parti Kulmiye, et a été salué pour sa décision. Ce premier affrontement pacifique et exemplaire a permis d’installer une pratique démocratique profonde. L’altruisme a surplombé les allégeances ethniques. Même si, en 2005, des tensions ont suivi les élections législatives. Depuis la fin d’un autre scrutin pacifique, les deux partis de la majorité, Kulmiye et l’UCID, ont provoqué une paralysie des institutions. Le début des tensions politiques au Somaliland…
Toutefois, la rivalité politique a été régie par la justice. En 2007, une loi a été promulguée par le président Kahin afin d’outrepasser le parlement, dont les élus ne voulaient pas céder leurs sièges. L’impossibilité de tenir des élections a duré jusqu’en 2010, bien que le mandat du président a expiré en 2008. Malgré la prolongation du mandat présidentiel, aucune contestation n’a eu lieu. En 2010, les trois élections locales, législatives et présidentielle, ont eu lieu. Le 26 juillet 2010, le chef du parti Kulmiye, Silanyo, a gagné l’élection présidentielle avec plus de 50 % des votes.
Puis, un autre référendum a eu lieu. Le choix des trois partis autorisés à se présenter à l’élection présidentielle a été transféré aux conseils régionaux. Une nouvelle formation politique, le parti Waddani, était né. C’est à partir de 2012, date des premières élections disputées par Waddani, l’UCID et Kulmiye, que ces trois partis sont devenus les rivaux politiques principaux.
Le retour des divisions
A cause des violences transfrontalières, les chefs politiques ont retardé l’élection présidentielle de 2015 de deux ans. La décision a été validée par la Commission nationale des élections (CNE). En janvier 2017, le président Silanyo a démissionné et l’élection a bien eu lieu. Cette fois, c’était le parti le plus récent, Waddani, qui a contesté les résultats de l’élection. Des manifestations ont secoué le pays pendant deux mois, faisant plusieurs morts. Cette fois, la chefferie traditionnelle a tenu un sommet de paix, dont les partis politiques ont accepté le résultat. Toutes les parties prenantes ont respecté la décision de la CNE. Depuis, le président Abdi est à la tête du pays.
Néanmoins, et malgré le bilan plutôt positif de Muse Bihi Abdi, l’élection de 2017 a renforcé les chefs de clans. Actuellement, on craint le début d’un conflit ethnique dans ce « pays qui n’existe pas », même si la paix subsiste. Depuis 2002, la démocratie du Somaliland a été une relative réussite. La passation de pouvoirs est généralement fluide et la société homogène. Au Somaliland, la langue est unique et les citoyens sont singulièrement musulmans.
Toutefois, le transfert de la tendance clanique à la politique depuis le sommet de 2017 menace cette dynamique. Dernièrement, un différent sur le nombre des membres de la CNE a causé un retard des législatives. La longévité du système électoral du Somaliland pourrait être ébranlée à tout jamais en novembre 2022. Le pays fête d’ailleurs son 30e anniversaire d’indépendance le 31 mai 2021. Il reste cependant à la recherche de son unité nationale secouée, et d’une indépendance totale de la Somalie, qui doit passer par une reconnaissance internationale.