Le président tunisien Kaïs Saïed estime que 460 hommes d’affaires ont spolié le pays. Il leur a proposé un marché en vue d’une « réconciliation pénale ».
C’est un peu le symbole de l’opération mains propres qui débute en Tunisie, sous la houlette du président de la République Kaïs Saïed. Début juillet, quelques jours avant que le chef de l’Etat ne prenne les pleins pouvoirs en écartant son chef du gouvernement et en gelant les travaux de l’Assemblée des représentants du peuple, une enquête avait été ouverte par le Pôle judiciaire financier pour suspicion de corruption au sein de l’Instance de lutte contre… la corruption (INLUCC) ! Il est reproché une « mauvaise gestion des fonds » à l’INLUCC et à son président Chawki Tabib. Depuis hier, les annonces d’ouvertures d’enquêtes se multiplient et, sur les réseaux sociaux, les listes d’hommes d’affaires supposément corrompus se succèdent.
L’INLUCC n’est pas la seule instance visée par la justice. Entre le 1er et le 14 juillet, le Pôle économique et financier a ouvert des enquêtes contre des partis politiques, des personnalités et même des entreprises publiques. L’Instance Vérité et Dignité (IVD) est par exemple visée pour « suspicion de fraude, faux et usage de faux », tandis que le parquet a ouvert une enquête pour « suspicion de corruption dans l’acquisition de moteurs d’avions » contre la compagnie aérienne Tunisair. Des partis politiques — Ennahdha, Qalb Tounes et Aïch Tounsi — sont également accusés d’avoir reçu des financements étrangers lors de la dernière campagne présidentielle.
C’est donc le grand ménage qui débute officiellement en Tunisie. Le président ne s’en cache pas. Et si la justice a débuté ses enquêtes depuis un mois, le président a, lui, dans la ligne de mire, des hommes d’affaires. Il a annoncé hier un décret présidentiel prochain, qui prévoit une « réconciliation pénale » avec des hommes d’affaires ayant « pillé » les richesses nationales. Kaïs Saïed parle d’une liste de 460 hommes d’affaires qui auraient volé 13,5 milliards de dinars — soit environ 4 milliards d’euros — en détournant des fonds de projets d’infrastructure.
460 hommes d’affaires ayant « spolié » devront financer des projets de l’Etat
Depuis, cette fameuse liste des 460 reste confidentielle, bien que certains noms circulent abondamment sur les réseaux sociaux. Lors d’un entretien avec le président de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA), Samir Majoul, Kaïs Saïed aurait remis à ce dernier la liste des 460 noms. Selon toute vraisemblance, Kaïs Saïed parlerait d’une liste établie en 2011, au lendemain de la révolution tunisienne, par Abdelfattah Amor, alors président de la Commission nationale d’investigation sur les faits de corruption et de malversation. Dans ce cas, il s’agirait d’une première décision qui concernerait la Tunisie de Ben Ali. En attendant, le gouvernement a-t-il enquêté sur des bien mal-acquis post-révolution ? Kaïs Saïed reste évasif sur cette question et indique qu’il ne communiquera pas les noms des personnes concernées.
La « réconciliation pénale » dont parle Kaïs Saïed fait en tout cas partie des promesses électorales de celui qui n’était alors que candidat à la présidentielle. Le président promet une « amnistie fiscale » conditionnelle aux hommes d’affaires ayant « spolié » la Tunisie : les personnes concernées devraient rester libres contre des promesses de financement de projets dans toutes les délégations, notamment les plus pauvres. Un processus qui ne se fera pas d’un claquement de doigts : pendant une dizaine d’années, les engagements des hommes d’affaires seront contrôlés par l’Etat, de façon à ce que les fonds promis aillent bien à la construction ou la rénovation d’écoles, d’hôpitaux ou d’infrastructures, et à leur maintenance.
Kaïs Saïed estime avoir établi une sorte de « palmarès » des hommes d’affaires les plus corrompus : « Les hommes d’affaires seront classés des plus impliqués au moins impliqués, a-t-il indiqué. L’homme d’affaires le plus impliqué devra investir dans la délégation la plus pauvre. Cependant les projets à mettre en place ne doivent pas être à but lucratif. Il s’agit de projet de développement, à l’instar de la construction d’hôpitaux, d’écoles, de voies publiques ». S’il assure ne pas vouloir lancer de chasse aux hommes d’affaires, Kaïs Saïed a indiqué qu’« il y a eu des tentatives de détruire des documents d’une importance majeure : ces gens seront traduit en justice, conformément à la loi ».