Ce vendredi, à Montpellier, se tient le 28e sommet Afrique-France. Macron a voulu un format nouveau. Mais l’absence de présidents africains risque d’être préjudiciable.
A quoi sert le sommet Afrique-France ? Alors que se déroule actuellement la 28e édition de ce rendez-vous à Montpellier, dans le sud de la France, la question se pose légitimement. D’autant que cet événement n’a de sommet que le nom. En effet, les chefs d’Etats africains ont laissé la place à des entrepreneurs, des représentants des sociétés civiles et des acteurs de la culture ou du sport. Depuis la création de ces rendez-vous en 1973, Paris a tenté à plusieurs reprises de modifier le format des sommets : le sommet France-Afrique est devenu, en 2010, le sommet Afrique-France. Entre temps, il avait pris la forme d’une « conférence des chefs d’Etat d’Afrique et de France » en 1990 ou d’un « sommet pour la paix et sécurité en Afrique » en 2013. Cette année, l’Elysée appuie sur la spécificité de ce qui est désigné comme un « nouveau sommet Afrique-France ».
La nouveauté, donc, c’est l’absence des présidents africains. On est loin de l’esprit originel du sommet, imaginé par le président nigérien Hamani Diori, qui avait pu compter sur l’appui du général De Gaulle et du président ivoirien Félix Houphouët-Boigny. Sous Giscard d’Estaing et François Mitterrand, l’événement était devenu plus diplomatique encore. Notamment après la décision de « VGE » d’organiser le sommet en Afrique une année sur deux. Lors de ces rendez-vous, le gratin de l’Afrique et la France dessinaient la politique du continent, fortement influencée par Houphouët-Boigny mais également par le Gabonais Omar Bongo. Il y a 42 ans, ce sont eux qui avaient sonné le glas pour Bokassa. La « Françafrique » était alors à son apogée.
Quelles priorités pour ce sommet ?
Depuis, les sommets ont oscillé entre plusieurs objectifs. « En 1990, le sommet a évolué vers la transition des relations, une normalisation autour du développement. Mais en 1994, c’est le retour vers des priorités sécuritaires et Mitterrand insiste sur ce point dans son discours. En tous les cas, ces grand-messes franco-africaines fonctionnent comme un credo de la politique africaine des chefs d’Etats francophones », résume Jean-Pierre Bat, historien et spécialiste des relations franco-africaines.
Il s’agissait aussi, évidemment, de consolider la « Françafrique ». Un demi-siècle après les décolonisations, la France voulait garder son pré-carré. La cellule africaine de l’Elysée profitait alors des sommets pour imposer sa vision et son rôle, notamment militaire, en Afrique. Cette année, plusieurs questions doivent être débattues : globalement, la place de la France en Afrique. Plus précisément, l’engagement de l’armée française en Afrique ou l’avenir du Franc CFA seront également discutés. Et l’absence des présidents africains n’est pas anodine. « Il faut mobiliser des sociétés entières pour arriver à réparer des liens qui sont fortement endommagés », estime l’historien camerounais Achille Mbembe.
La jeunesse africaine éloignée de Paris
De plus en plus mal-aimée en Afrique, la France tente de jouer une nouvelle carte. Accusée d’avoir soutenu des dictatures, d’avoir laissé faire le génocide rwandais ou encore de ne pas s’excuser pour les méfaits de la colonisation, Paris a tout intérêt à tenter le tout pour le tout. L’Elysée promet que les invités de la société civile ne peuvent être « soupçonné de complaisance à l’égard de la France ». En réalité, Paris semble désormais être hors-sol concernant les problématiques africaines. La France comprend-elle vraiment ce qui se joue sur le continent ?
Pour Achille Mbembe, « dans une large mesure, la France est à l’écart des nouveaux mouvements et des expérimentations politiques et culturelles » portés par la jeunesse africaine. L’historien, qui travaille pour Emmanuel Macron sur ce sommet, assure que la France « a oublié de se connecter à ces courants d’avenir ». Mbembe est certain que « la reconnaissance de la perversion du colonialisme, de sa nature, littéralement, de crime contre l’humanité, est importante ». Mais on n’imagine pas Emmanuel Macron arriver à ce stade d’analyse. « Les sujets qui fâchent seront sur la table », nuance l’entourage du président français. Pourtant, Paris n’a pas voulu inviter les oppositions politiques africaines.
La France veut protéger ses intérêts
Qu’est-ce qui sortira de ce 28e sommet ? A priori, pas grand-chose. Pour l’activiste gabonais Marc Ona Essangui, la France doit changer de paradigme. « L’Afrique a évolué en termes de générations, mais la France est restée coincée sur le même paradigme, c’est-à-dire : il faut défendre les intérêts, rien que les intérêts. La population africaine ne compte pas », dit-il, ajoutant : « On impose des dictateurs, on soutient les dictateurs qui massacrent leur population et la vie continue. On privilégie les intérêts économiques, mais quand il s’agit d’évoquer les questions de démocratie, les questions de gouvernance, les droits de l’homme, la France ferme les yeux ».
L’absence des chefs d’Etat, elle, s’explique simplement : en pré-campagne électorale, Emmanuel Macron n’a pas voulu s’afficher avec certains de ses homologues. Ce qui ne veut donc pas dire que le sommet mettra fin à la politique « françafricaine ». Alors que l’Afrique a besoin de réponses quant à sa sécurité, au terrorisme et à ses économies, le président français préfère le dialogue avec des sociétés civiles. Ce 28 sommet Afrique-France ressemble à s’y méprendre à une simple opération de communication. Qui ne sera, en rien, bénéfique pour le continent.