Après avoir déposé plainte contre l’élu sénégalais Ousmane Sonko, Adji Sarr a fait une apparition télévisée sur la chaîne ITV Sénégal. Elle défie son présumé violeur et indique qu’elle veut aller au bout du procès.
Les cheveux couverts d’un voile noir, Adji Sarr, celle qui a mis le feu aux poudres en portant plainte contre Ousmane Sonko, qu’elle accuse de viol, a donné sa version des faits à la télévision, mercredi dernier. Entourée de sa famille et en présence de son avocat, elle a avant tout répondu aux accusations de complot politique. L’avocat d’Adji Sarr, Me Hadji Diouf, estime que « la presse, manipulée par Ousmane Sonko, a raconté beaucoup de calomnies sur Adji Sarr », avant d’ajouter que son « but est qu’Adji Sarr s’explique aussi, elle a des droits ! ».
Le collectif des avocats d’Ousmane Sonko a refusé de réagir aux déclarations d’Adji Sarr. L’accusé, qui a été inculpé le 8 mars dernier, est toujours placé sous contrôle judiciaire.
Si ce scandale a pris de l’ampleur, c’est parce que le camp Sonko a réussi à politiser le scandale : de simple affaire de mœurs, l’opposant en a fait une affaire politique, accusant le président sénégalais d’avoir fomenté un complot contre lui. De violentes manifestations ont eu lieu au Sénégal entre le 5 et le 11 mars. La jeune femme a affirmé, lors de son intervention, que face aux nombreux détracteurs, elle avait préféré se taire. « Ousmane Sonko pense avoir gagné », a déclaré Adji Sarr, disant à demi-mots qu’elle est prête à laver son honneur.
Adji Sarr, entre détracteurs et sympathisants
Cheikh Tidiane Diéye, coordinateur du récent mouvement M2D, auquel Sonko et son parti appartiennent, avait tenu des propos déchaînés à l’encontre d’Adji Sarr : « C’est une grave atteinte aux principes moraux de notre société. Mais cette bassesse n’engage que ses auteurs », a-t-il accusé.
L’imminent sociologue Mamadou Wane, surnommé Mao, a déclaré à son tour : « Adji Sarr enfreint le secret de l’enquête ». Et la liste des détracteurs de la masseuse, dont le crime est d’avoir porté plainte auprès de la justice sénégalaise, s’allonge jour après jour d’hommes qui estiment que la jeune femme n’avait pas à porter plainte. Les associations de femmes, elles, à quelques exceptions près, restent muettes.
Mais la peur change parfois de camp. La militante et psychothérapeute Khaira Thiam est intervenue, peu après l’interview d’Adji Sarr : « L’arrogance et les limites de ceux qui croient pouvoir déterminer quel comportement une victime de viol devrait ou ne devrait pas avoir sur la base de leurs propres normes », a-t-elle écrit sur les réseaux sociaux.
La sortie d’Adji Sarr a servi aussi à recentrer le débat et à rappeler à Ousmane Sonko qu’au milieu de sa croisade contre Macky Sall, légitime ou non, selon où l’on se place, il y a un procès en cours. Et que celui-ci concerne bel et bien une affaire de mœurs. L’accusatrice a, dit-elle, encore des preuves à présenter, peut-être pas en mesure de prouver le viol mais d’attester au moins la relation adultère.
Sonko, peu apprécié des confréries
Pour une personne du calibre d’Ousmane Sonko — dirigeant des Pastef, considéré comme salafiste, et donc mal vu par les confréries soufies qui dominent la scène religieuse du Sénégal —, l’adultère ouvrirait non pas les portes de la prison mais d’un discrédit qui pourrait avoir des retombées électorales négatives.
Au Sénégal, tout le monde a compris à ses dépens à quel point le pouvoir des médias sociaux et d’internet était important. Et, même si la popularité de Sonko a bondi aujourd’hui, les jeux sont loin d’être faits. Si l’adultère était prouvé, à défaut d’un procès qui donnera toutes ses réponses, cela pourrait lui être fatal, à la fois médiatiquement et sur le terrain.
La prochaine élection présidentielle au Sénégal est prévue en 2024, tandis que les élections municipales, départementales et régionales, déjà reportées à plusieurs reprises, devraient avoir lieu cette année. Ousmane Sonko est très apprécié des jeunes et de la diaspora, mais il n’a pas le soutien des confréries qui ont une certaine influence politique.
L’avenir de Sonko s’écrit avec un point d’interrogation
Le mouvement des Pastef ne peut avoir une chance de victoire lors de ces élections que s’il réussissait à construire un bloc solide autour de lui, capable d’aller au-delà du M2D. La force du parti Alliance pour la République (APR) de Macky Sall tient à la fragmentation de l’opposition. Et aussi à la facilité avec laquelle les opposants se sont laissés coopter par le pouvoir.
Il y a fort à parier que Macky Sall cherchera à user de cet éparpillement et en même temps à présenter des candidats qu’il peut canaliser. Parmi les noms qui circulent, il y a celui de l’ancien ennemi Idrissa Seck. En coulisse, on parle également d’un hypothétique retour dans son pays natal de Karim Wade, pour soutenir les candidats du PDS, le parti fondé par son père, l’ancien président Abdoulaye Wade. Un retour qui, s’il se concrétise, pourra justement perturber l’opposition.
Ce paradigme s’accentuera surtout si la justice condamne Ousmane Sonko, qui perdrait ses soutiens immédiats et verrait s’éloigner ses chances lors de la future élection présidentielle.
Tout cela explique probablement l’importance de l’interview d’Adji Sarr. Car même si elle a été victime d’une campagne de décrédibilisation menée par le M2D, elle joue aujourd’hui un véritable rôle politique : de l’issue du procès et de la solidité des preuves qu’elle promet de livrer dépend l’avenir d’Ousmane Sonko.