Véritable modèle de développement africain, le Rwanda est depuis plus de vingt ans dirigé par un président autoritaire. Cependant, Paul Kagamé bénéficie du soutien des institutions internationales et de l’Occident.
Il est le réformateur par excellence. A la tête de la « Suisse africaine » — ou du « Singapour africain », c’est selon —, Paul Kagamé a véritablement changé la face du Rwanda depuis son arrivée au pouvoir en 2000. Une « success story » qui a permis au président rwandais d’être aujourd’hui dans les petits papiers des institutions internationales, de la Banque mondiale au FMI, en passant par l’Union africaine qu’il a présidée entre 2018 et 2019. Il faut dire que le bilan économique de Kagamé est assez exceptionnel : chaque année, le pays enregistre une croissance moyenne dépassant les 7 %. C’est plus que les voisins du Rwanda, qui disposent pourtant de richesses minières impressionnantes. Pour les investisseurs étrangers, le Rwanda est devenu un eldorado : il est possible d’y créer une société en quelques heures et le pays est à la pointe de l’innovation.
Des scores dignes des régimes les plus autoritaires
Ces indicateurs économiques ne sont que la face cachée de l’iceberg car derrière ce tableau idyllique se cache une réalité beaucoup plus noire. Au-delà du « miracle économique » rwandais, la dictature règne. Elu avec 98,63 % des suffrages en 2017, Paul Kagamé, qui s’oppose à la limitation du nombre de mandats, règne en maître dans ce pays de 12 millions d’habitants. Sept ans plus tôt, Kagamé fêtait ses dix ans de règne avec un plébiscite (93,08 % des voix). Plusieurs ONG, comme Amnesty International ou Human Rights Watch, déploraient alors le manque d’opposition. Plusieurs partis, qui envisageaient de présenter des candidats, n’avaient en effet pas pu prendre part au scrutin, écartés à cause de problèmes juridiques ou administratifs au moment des dépôts de candidatures.
Elu avec la quasi-totalité des voix, Paul Kagamé avait sorti la carte de la faiblesse de l’opposition. « Je ne peux pas avoir honte de ma force simplement parce que quelqu’un d’autre est faible », affirmait-il. Pour HRW, le constat est légèrement différent… L’ONG avait déplore un climat « d’intimidation, de harcèlement et d’autres abus » au cours de l’année 2010. Et pour Carina Tertsakian, chercheuse de Human Rights Watch, les mois précédant le scrutin avaient « été marqués par une répression croissante de l’opposition», qui n’avait « pas été en mesure de présenter des candidats ». Fermetures de médias trop critiques vis-à-vis du pouvoir, répression et même assassinats de journalistes et d’opposants… Et si, finalement, le Rwanda n’était pas autant un modèle qu’on le laisse penser ? Et si les institutions internationales se trompaient ?
« Les chiffres ne mentent pas », rétorquait Paul Kagamé dans un entretien à Jeune Afrique, en 2017. Le journaliste semblait alors demander au président rwandais s’il était certain que les indicateurs économiques de son pays n’étaient pas trafiqués. Kagamé est un adepte des « contrats de performances ». Les fonctionnaires rwandais deviennent ainsi des VRP qui risquent de perdre leur emploi si les objectifs fixés par le palais ne sont pas atteints. Au Monde, Benjamin Chemouni, enseignant-chercheur au département de développement international de la London School of Economics, montre l’absurdité d’une telle politique : « Pour inciter les gens à prendre une mutuelle de santé, par exemple, et ainsi gonfler les chiffres, on a pu leur forcer la main en leur infligeant une amende ou en confisquant partiellement leurs biens ».
Des indicateurs économiques truqués ?
Des chiffres gonflés qui posent la question de la réalité du « miracle économique » rwandais. Pour l’historienne Assumpta Mugiraneza, « il est arrivé que certains chiffres soient un peu truqués, mais (…) même si le Rwanda n’a pas atteint 95 % de ses objectifs, il est au moins à 85 % ». Comment continuer à croire un bilan dont le pouvoir trafiquerait, sans vergogne, les chiffres ? Depuis 2015, de nombreux employés de la Banque mondiale ont tenté d’alerter leur hiérarchie sur ces manipulations. Alors que l’institution assurait que le taux de pauvreté avait baissé de six points entre 2011 et 2014 au Rwanda, des journalistes du Financial Times ont prouvé que la réalité était différente : le taux de pauvreté avait en réalité augmenté de 6 %.
Malgré ces révélations, Paul Kagamé reste aujourd’hui l’un des dirigeants africains les plus en vue. Derrière les louanges, Kagamé réunit pourtant toutes les caractéristiques du dictateur : sans pitié, réprimant son peuple et, selon des hauts-fonctionnaires des Nations unis, ayant soutenu des milices rebelles chez son voisin congolais, le président rwandais est inclassable. Pour la troisième fois depuis l’arrivée au pouvoir de Kagamé, le Rwanda fait partie des Etats ayant subi un examen par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Il a notamment été demandé au Rwanda de ratifier le Statut de Rome pour que le pays devienne partie à la Cour pénale internationale ou d’autoriser le sous-comité des Nations unies pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à reprendre ses visites, mais Paul Kagamé ne semble pas prêt à faire des efforts dans ce domaine.
Celui qui a été décrit comme « l’homme fort préféré de l’élite mondiale » par le New York Times souffle le chaud et le froid depuis son arrivée à la tête du Rwanda. Réputé impitoyable, violent avec ses collaborateurs, Paul Kagamé affirme qu’il fait là son dernier mandat, mais l’ivresse du pouvoir pourrait bien le conduire à tenter de rempiler, en 2024… Dans ce cas, le président rwandais pourrait bien redevenir un dictateur comme les autres aux yeux de l’Occident car son image ne tient qu’à un fil. Dans La Libre, l’éditorialiste Hubert Leclercq résume avec beaucoup de justesse la personnalité du président rwandais : « Kagame est un dictateur nationaliste, un homme qui a le Rwanda chevillé au corps, pour qui le développement national passe bien avant la démocratie… Mais un dictateur quand même. »