Depuis qu’il a cédé le pouvoir en 2019, Mohamed Ould Abdel Aziz a été au centre d’une affaire de corruption. A mesure que l’enquête se poursuit, sa culpabilité est de moins en moins sûre.
La semaine dernière a porté une réapparition de l’ex-président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz. Ce dernier a multiplié les déclarations aux médias, clamant son innocence de l’affaire de détournement de fonds dont il fait l’objet. Abdel Aziz a aussi critiqué son successeur et son dauphin, le président Mohamed Ould Ghazouani, pour ce qu’il qualifie de machination de la justice.
L’Etat mauritanien est l’un des Etats les plus discrets sur le plan continental et mondial. Cela s’expliquerait par l’économie faiblarde du pays. Cependant, la Mauritanie a connu son lot d’agitations, avant que la situation politique ne se stabilise après la première alternance politique pacifique dans l’histoire du pays en 2019.
En effet, le président Abdel Aziz était arrivé au pouvoir après un coup d’Etat en 2008. L’un des officiers ayant participé activement au putsch était le président actuel, Ould Ghazouani. Somme toute, Abdel Aziz avait mené sa montée au pouvoir d’une main de maître. Il avait réussi à isoler le président renversé et à éviter les sanctions internationales. Et Abdel Aziz était passé de son statut de putschiste à un président en un temps record (9 mois). L’intervention de Mouammar Kadhafi et du président sénégalais Abdoulaye Wade avaient fluidifié cette transition.
Le début des problèmes pour Abdel Aziz
Néanmoins, la confiance de la communauté internationale dans la médiation africaine a eu des résultats différents lors de l’élection suivante. Lors du scrutin de 2014, qui a connu beaucoup d’irrégularités, le Premier ministre tunisien Béji Caïd Essebsi s’était porté garant des résultats de l’élection. Or, l’élection a été calamiteuse, même selon les normes africaines.
L’ex-président avait alors joué la seule carte qu’il avait encore en main. Abdel Aziz avait menacé de revoir son implication militaire dans la lutte antiterroriste au nord malien. En effet, l’Etat mauritanien était à l’origine de la création du G5 Sahel. Il avait aussi proposé la première intervention africaine au Mali en 2014, aux côtés de l’opération française Sevral. Ensuite, il a réaffecté les troupes mauritaniennes aux forces G5S dès l’avènement de Barkhane.
En contrepartie, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU (CDH) n’a pas poursuivi ses accusations de crimes racistes envers le régime Abdel Aziz. En 2018, le CDH avait condamné le traitement des Peuls et des Wolofs en Mauritanie. De plus, les observateurs européens et africains de l’élection de 2019 ont fermé l’œil sur les modalités de la « tandémocratie » en marche en Mauritanie. Abdel Aziz avait, en effet, cédé sa place à son compagnon d’armes et son dauphin désigné, Mohamed Ould Ghazouani.
Pas de prix Mo Ibrahim pour Abdel Aziz ?
Il n’empêche qu’Abdel Aziz, qui avait la machine de l’Etat bien en main, aurait pu s’accrocher au pouvoir en 2019. De plus, malgré les exactions de l’armée mauritanienne et les nombreuses critiques quant à la gouvernance d’Abdel Aziz, l’ex-président a marqué de bons résultats économiques lors de ses trois dernières années au pouvoir. La production mauritanienne a connu un bond depuis l’adoption de la loi fiscale en 2017. L’investissement dans le secteur agricole, malgré les contraintes écologiques, a porté ses fruits. De plus, la Mauritanie a maintenu une certaine souveraineté quant aux ressources minières. Le fer est exploité à 72% par l’Etat encore aujourd’hui.
Le PIB de la Mauritanie a augmenté de 48% en six ans sous Abdel Aziz. L’Indicateur de développement Humain (IDH) lui a été plus que favorable. Abdel Aziz a aussi taclé la corruption, dont il est aujourd’hui accusé, en limogeant des dizaines de ministres et de hauts fonctionnaires durant ses deux mandats. Certes, Abdel Aziz n’était pas un enfant de chœurs, mais son gouvernement a fait son possible dans un pays des plus pauvres au monde.
Coupable ou pas ? Telle est la question
Vint alors la succession d’Ould Ghazouani. Peu de temps après son investiture, l’actuel président mauritanien a rallié les responsables du parti présidentiel, l’Union pour la République (UPR) sous son contrôle. Ensuite, il a changé la structure de l’armée et de la Garde Présidentielle. Puis, en juillet 2020, une commission parlementaire a été chargée d’enquêter sur les finances mauritaniennes durant les mandats d’Abdel Aziz.
Depuis, l’ex-président a été obligé de répondre personnellement de toutes les accusations dont son gouvernement a fait l’objet. A une exception près, celles visant Ould Ghazouani. Outre la corruption au sein de l’Etat, Abdel Aziz a été accusé de corruption, de détournement de biens publics et de blanchiment d’argent. A la suite de ces accusations plus récentes, datant du 12 mars 2021, Abdel Aziz a fait ses premières apparitions publiques. Il a donc dénoncé une trahison d’Ould Ghazouani. Estimant, entre autres que l’Etat essaye de l’exclure de la vie politique. Abdel Aziz a d’ailleurs déclaré : « Je ne partirai pas, ni au Sénégal, ni au Mali, ni au Maroc, ni en France », a-t-il affirmé.
Après la récente fouille du domicile de l’ex-président, les autorités n’ont d’ailleurs pas trouvé les lingots d’or et les liasses de billets qu’ils y recherchaient. Abdel Aziz a déclaré le 14 mai : « On n’a jamais trouvé 65 kilos d’or chez moi, encore moins 100 milliards de FCFA », a-t-il annoncé. L’ex-président, actuellement en résidence surveillée, peine à revenir sur la scène politique. Il a depuis quelques mois rejoint un parti d’opposition, le Ribat national. Après la concrétisation des arguments avancés de son « innocence », l’ex-président mauritanien pourrait obtenir du support. En l’occurrence, plusieurs ONG soutiennent que son éviction forcée de la vie politique pourrait se retourner contre Ould Ghazouani.