Le gouvernement de la Côte d’Ivoire dit ne pas adhérer à un retour triomphal de Laurent Gbagbo. Le FPI-GOR n’est pas du même avis. Quid des non-dits de ce retour ? Le pays a connu des mois très mouvementés.
Après le rassemblement des militants du FPI-GOR le 31 mai, fêtant l’anniversaire de l’ancien président Laurent Gbagbo, certains facteurs ont changé. L’Etat ivoirien, qui avait annoncé à maintes reprises être favorable au retour de Gbagbo, met un coup d’arrêt à l’enthousiasme de ses militants. Mais selon Assoa Adou, l’ancien président devrait être accueilli de manière « triomphale ».
Or, la Côte d’Ivoire est le pays de l’intrigue politique par excellence. Si l’on y parle beaucoup de politique, les non-dits sont aussi nombreux que les évènements. A mesure que l’on se rapproche du retour du chef invétéré du FPI, les souvenirs récents remontent. Et avec eux, les peurs et les doutes d’Alassane Ouattara.
La mort de Coulibaly a-t-elle mis fin à l’alternance ?
La Côte d’Ivoire a connu une année plus que mouvementée. Deux moments de deuil dans les hautes sphères de l’Etat ont marqué les derniers mois. Et un climat malsain s’est installé. Surtout depuis qu’Alassane Ouattara a commencé son troisième mandat.
Avant cela, la mort du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly a chamboulé les plans de tous les acteurs politiques. Coulibaly est décédé en juillet 2020, quelques mois avant l’élection présidentielle. On le considérait comme le dauphin de Ouattara. Donc, depuis son décès, Ouattara qui finissait son second mandat, s’est présenté à l’élection présidentielle.
En effet, Ouattara ne voulait pas risquer de voir le pouvoir échapper à sa famille politique, le Rassemblement des républicains (RDR). Son élection a causé une agitation dont on ne voit pas la fin. Le troisième mandat de Ouattara est aussi inconstitutionnel que l’exil forcé de Laurent Gbagbo. Pour rappel, Gbagbo avait gagné l’élection de 2010. C’est l’intervention française qui avait épaulé le putsch de Ouattara à la tête de l’Etat ivoirien.
Donc, si le mandat actuel de Ouattara est considéré légal, un paradoxe s’impose. Ouattara admettrait implicitement que sa prise du pouvoir était inconstitutionnelle. Or, si le RDR avait légalement gagné la présidence en 2010, Ouattara n’aurait rien à faire au palais présidentiel d’Abidjan en 2021. Mais Ouattara, en bon souverain, s’est emparé du beurre, de l’argent du beurre, de la centrifugeuse et des vaches aussi.
Le décès de Hamback, et le monopole des Ouattara
Ensuite, vint le décès tragique d’un autre Premier ministre, beaucoup plus consensuel. En effet, feu Hamed Bakayoko était un personnage à l’influence plus étendue qu’un processus politique. Militant, activiste, patron des arts et de la culture et proche des sportifs et des jeunes, Bakayoko représentait, aux yeux de tous, le futur de la chose publique ivoirienne. Malgré qu’il appartînt à la coalition d’Alassane Ouattara, « Hamback » était un élément d’équilibre. Une sorte de Jules César au Pompée de Ouattara. La Côte d’Ivoire a-t-elle perdu un chef ou un potentiel dictateur ? On ne le saura jamais, mais les avis convergent dans le pays. Bakayoko vivant, on ne parlerait même plus du trio Ouattara-Gbagbo-HKB dans quelques années, selon plusieurs spécialistes.
Donc, depuis le 10 mars 2021, Ouattara a continué sa pression sur les artères de l’Etat ivoirien. Patrick Achi a eu la primature. Téné Birahima Ouattara, le frère du président, s’est emparé du ministère de la Défense. Et la Première dame, Dominique Ouattara, a bâti le « grand milieu associatif » ivoirien qui, additionné à l’influence qu’exerce l’Etat français sur les instances politiques africaines et régionales, représente l’image du pays aux yeux du monde. Il faut dire que la voix des jeunes, étouffées en Côte d’Ivoire depuis des années, n’est plus tellement audible. Et le pays, selon l’opposition ivoirienne, ne serait plus réellement souverain. L’exonération internationale de Laurent Gbagbo s’inscrirait donc dans ce contexte. L’ancien président fait partie du passé politique violent de la Côte d’Ivoire.
Le généreux Etat ivoirien, entre humilité et dispositions
Plus de 3200 personnes sont tombées en marge de la crise post-électorale de 2010-2011. Le gouvernement d’Achi n’hésite d’ailleurs pas à brandir le slogan de la souffrance des familles pour calmer les ardeurs d’Assoa Adou.
En soi, les militants du FPI-GOR ont tenu un discours consensuel depuis que la CPI a blanchi Gbagbo. Mais la justice ivoirienne n’a pas encore reconsidéré la décision de 20 ans d’emprisonnement prononcée en 2019 à l’égard de Gbagbo. Néanmoins, Ouattara et Achi, comme leurs interlocuteurs au FPI-GOR, semblent déterminés à aboutir à un accord.
Les évènements des derniers jours représentent donc la première oscillation dans les pourparlers. Jusque-là, le gouvernement a pris des décisions favorables, bien que symboliques, au retour de Gbagbo. Déjà, on lui paiera un billet, à bord d’un avion commercial.
Ensuite, il bénéficiera de 26 000 euros d’allocations de la part du généreux Etat ivoirien. Puis, sa sécurité serait assurée par les forces de l’Etat. Ce que les militants ne trouvent pas particulièrement réconfortant. Et enfin, par respect aux sentiments des familles qui ont perdu leurs proches en 2010, Gbagbo devra revenir discrètement.
En effet, Adama Bictogo du RHDP, autant que le porte-parole du gouvernement, Amadou Coulibaly, se sont opposés aux discours houleux d’Assoa Adou d’avant-hier. Le premier a appelé à « l’humilité » de la part de Gbagbo et de ses militants. Il a même permis, du haut de son statut d’homme d’affaire proche de Ouattara, que la famille et les proches de Gbagbo l’accueillent à l’aéroport. Le second, sur un ton plus officiel, s’est inquiété de l’unilatéralisme de la décision de la date du retour de Gbagbo. Assoa Adou a annoncé que ce serait le 17 juin. Mais le gouvernement estime que « les dispositions ne sont pas encore prises ».