Les relations entre la France et l’Algérie s’enveniment sur tous les plans. Entre l’apartheid vaccinal, les différents dossiers africains et le développement économique, quelles seraient les raisons profondes de ce contexte ?
Un éditorial paru le 5 juin sur le journal français Le Monde a été jugé « d’une hostilité inouïe » par l’ambassadeur algérien à Paris, Mohamed-Antar Daoud. Il faut dire que la relation franco-algérienne est compliquée. Du Hirak à la démission de Bouteflika en 2019. En remontant le temps à la guerre d’Algérie. Voire avant, du temps de la colonisation française. S’il y a un sujet qui met les Algériens d’accord, depuis presque toujours, ce sont les rapports avec l’Etat français. Tant et si bien que même l’éditorial en question, intitulé « L’Algérie dans l’impasse autoritaire », a été critiqué par les médias algériens d’opposition. En condamnant le gouvernement et le Haut conseil de sécurité (HCS), il a rappelé aux Algériens les positions de ces derniers sur le dossier de la mémoire coloniale.
En effet, Abdelmadjid Chikhi, le conseiller du président Tebboune sur la mémoire nationale, s’est aligné sur les positions du chef d’état-major Saïd Chengriha. Ils considèrent que la France avait « éliminé les Algériens qui lisaient et écrivaient, avant de commencer l’ère du pillage ». S’en est suivie l’annulation de la visite du Premier ministre français Jean Castex en Algérie. Ainsi que l’ouverture d’une antenne politique du parti La République en Marche d’Emmanuel Macron, dans la partie du Sahara occidental réclamée par le Maroc.
L’Algérie a toutefois été critiquée par la France sur plusieurs sujets. Ces derniers mois, en marge de la crise sanitaire de la Covid-19, les responsables français n’ont pas rechigné à mettre l’accent sur « les apatrides de la pandémie ». Les Algériens qui se sont retrouvés bloqués hors du territoire pendant la fermeture des frontières. Or, ces mêmes responsables français trouvaient l’Algérie laxiste quant à la gestion de la pandémie.
— Kamal Louadj (@LouadjSputnikFR) June 8, 2021
La diplomatie vaccinale de la soumission, pas pour l’Algérie
Pour cette raison, l’Union européenne (UE), avait retiré l’Algérie de la liste des pays exemptés de restrictions aux voyages. Ce boycott européen a fait que les Algériens concernés restent bloqués en France durant les quelques périodes où l’Algérie a réouvert ses frontières.
Dans l’absolu, l’attitude de la France ferait croire qu’elle gère la pandémie de la Covid-19 mieux que l’Algérie. Ce que les chiffres réfutent clairement. Pour 67 millions d’habitants, la France compte 5,7 millions de cas de Covid-19 depuis le début de la pandémie. Pour 43 millions d’Algériens, 131 000 personnes ont été atteintes de coronavirus. La question de qui est laxiste subsiste, donc. On pourrait relever le taux de mortalité des atteints de Covid-19 qui est de 2% en France et de 2,6% pour l’Algérie, qui pourrait être attribué à la qualité des services sanitaires. Mais aussi, si on l’observe bien, à la disponibilité des vaccins.
L’Algérie a aussi été la victime du même embargo des brevets pour les vaccins Covid-19 que les autres pays africains. Un embargo qui a été appuyé par la France jusqu’à très récemment. Pourtant, que l’Algérie ait des statistiques pareilles dans la gestion de la crise sanitaire montre une chose. L’Algérie a bien jugulé la pandémie, sans se soumettre aux exigences des laboratoires pharmaceutiques.
En effet, le ministre algérien de la Santé, Abderrahmane Benbouzid a révélé que Pfizer avait demandé à l’Etat algérien d’acheter des vaccins, de payer en avance et « d’exonérer le laboratoire de toute poursuite en cas de travers ». Toutefois, l’Algérie n’accepte pas le chantage. Elle ne l’a pas accepté dans le cadre de la « diplomatie vaccinale ». Mais ce qui provoque les frictions franco-algériennes est encore plus profond que cela.
Une diplomatie économique prudente mais fraternelle
Au niveau économique, la France n’a jamais pu s’imposer en Algérie autant que dans d’autres anciennes colonies africaines. L’exemple le plus récent est la route transsaharienne, un projet que l’Algérie promeut depuis les années 1960.
La route, d’une importance géostratégique capitale, est financée en grande partie par l’Algérie. Les parties qui relieraient la route à la Tunisie, le Niger et le Nigéria sont déjà construites. Grâce à un prêt chinois, l’Algérie réussira à terminer le tronçon qui la relierait au Nord nigérien. Ainsi, la Transsaharienne serait finie dans quelques mois, si on en croit le ministre algérien des Transports.
La partie qui relie le Tchad au Niger est toujours au point mort, l’influence française y serait probablement pour quelque chose. Par contre, la partie qui relie Bamako et Gao au Mali à Tamanrasset en Algérie semble de plus en plus possible. Surtout au vu de l’hostilité de l’Etat français contre le Mali.
L’Algérie entretient actuellement de meilleures relations avec les pays concernés par la Transsaharienne que la France. Cette dernière est en perte de vitesse au Nigéria, au Niger et au Mali. Et si l’Etat algérien partage de plus en plus avec les pays africains qu’avec la France, c’est car la ligne diplomatique algérienne est la même depuis des décennies. Elle repose plus sur la réciprocité que le suivisme.
L’exemple du Mali est le plus récent. L’Algérie, à travers son président Abdelmadjid Tebboune, a proposé implicitement au Mali de remplacer l’armée française dans la sécurisation des zones qui connaissent l’activité des groupes terroristes. Un rôle que l’Algérie endosse avec succès depuis des années au Nord malien. C’est aussi un fiasco total du côté français dans la zone des trois frontières. On relève que la menace terroriste est plus aigüe actuellement au Sahel qu’avant le déploiement de Serval ou de Barkhane.
— Kamal Louadj (@LouadjSputnikFR) April 15, 2021
La Françafrique ne convient pas à la Mecque des révolutionnaires
La diplomatie algérienne en Afrique est un autre point de divergence avec la France. Si l’Etat français déstabilise les anciennes colonies africaines pour perpétuer ses avantages économiques. Rien n’explique la désastreuse intervention française en Libye. Depuis Sarkozy, en passant par Hollande et en débouchant sur Macron, l’Etat français a causé d’innombrables torts aux Libyens. Or, la France ne partage aucune histoire commune avec la Libye.
Cependant, l’Algérie a maintenu la même ligne diplomatique dure que l’Etat libyen pendant des décennies. La position commune sur la cause palestinienne depuis les années 1970, le soutien libyen du Front Polisario au Sahara occidental dans les années 1980, l’Union du Maghreb Arabe en 1989, ainsi que 982 kilomètres de frontières communes lient la Libye à l’Algérie. Bien plus que les manœuvres subversives de Bernard-Henry Lévy ne pourraient rapprocher la Libye de la France.
L’Algérie partage aussi la mémoire du colonialisme européen au même titre que la Libye, le Mali et le Niger. Dernièrement, le dossier de la mémoire coloniale revient souvent dans l’actualité algérienne. Tant et si bien que le ministre algérien du Travail qualifie la France « d’ennemie éternelle ».
Donc, les médias français, qui voudraient se positionner du côté du Hirak en Algérie, ne pourraient possiblement en être les alliés. Pour la simple et bonne raison que le Hirak scande des slogans antifrançais, depuis son avènement. Pour les Algériens, la politique nationale est une affaire souveraine.
Selon Pierre Vermeren : « On se retrouve dans une situation paradoxale où la France fait des amabilités au pouvoir algérien, qui lui renvoie les crimes du colonialisme. Et en même temps on est attaqué par le Hirak pour soutenir le gouvernement algérien. On est dans une mauvaise passe. Et on ne voit pas ce qui pourrait aller mieux. », a déclaré l’historien.
#Algerie Cette tribune de Pierre Vermeren est l'énième exemple du déni à la Française https://t.co/Q5u7GVNjH6
— Zahra Rahmouni (@ZahraaRhm) February 18, 2017