La Russie a refusé de voter le renouvellement des mandats des experts de l’ONU au Sud-Soudan, en RDC, en Centrafrique et au Mali. Pour les diplomates russes, le nombre élevé d’experts occidentaux, chargés de surveiller l’application des sanctions onusiennes est contre-productif.
La Russie retarde activement la nomination de groupes d’experts des Nations unies pour surveiller l’application ou la violation des sanctions contre le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo (RDC), la République centrafricaine (RCA) et le Mali. Selon les diplomates russes, Moscou ne se satisfait pas du nombre d’experts nommés par les pays occidentaux. Pour l’ambassadeur russe Vasily Nebenzya et son adjoint Dmitry Polyanskiy, les rapports des experts en question sont loin d’être impartiaux.
En effet, alors que la Russie tente d’étendre son influence en Afrique, en défiant en particulier l’influence française historique au Mali et en RCA, les experts occidentaux de l’ONU multiplient les rapports accablants contre Moscou. Et lorsqu’il s’agit des pays occidentaux, le ton des Nations unies reste trop conciliant, selon la diplomatie russe.
« La Russie a en effet suspendu l’approbation d’un certain nombre de panels ou d’experts individuels », a déclaré à l’ambassadeur adjoint de la Russie aux Nations unies, Dmitri Polyanskiy, qui déplore un déséquilibre dans les choix onusiens : « Malheureusement, nous sommes toujours confrontés à une situation où la composition proposée de tels panels n’est pas géographiquement équilibrée. Nous avons une prédominance de représentants de pays occidentaux », s’étonne le diplomate.
La fin du consensus Russie-Occident en Afrique ?
Depuis l’Assemblée générale de l’ONU qui s’était déroulée au cours de l’automne 2019, la Russie n’avait utilisé son droit de véto sur des motions relatives à l’Afrique qu’à une seule reprise. Il s’agissait alors, lors du sommet extraordinaire de juin 2021, d’empêcher les sanctions imposées à l’Ethiopie. Il faut dire que la Russie est généralement plus souple à l’ONU lorsqu’il s’agit des pays africains. Par exemple, la diplomatie russe a soutenu le projet de lutte contre le réchauffement climatique de l’ONU lors des réunions de la semaine passée.
Là où le bât blesse, du côté de Moscou, c’est quand des experts onusiens accusent directement la Russie de crimes en Afrique. En effet, l’administration Poutine a mal pris les accusations européennes sur des prétendus crimes de guerre en Centrafrique. Il a fallu attendre que le président angolais, João Lourenço, défende d’abord la présence incontournable du groupe paramilitaire Wagner en RCA, devant l’ONU, fin juin. Puis, ce fut au tour du président centrafricain Faustin Archange Touadéra de prendre la parole à la tribune onusienne, une semaine plus tard, pour dénoncer la « propagande médiatique » avec laquelle son pays et ses « partenaires internationaux » doivent composer.
Situation similaire en Libye, où l’ONU ne cesse d’exiger le retrait des soldats avec lesquels la Russie dit ne pas avoir de liens. En effet, si l’homme d’affaire russe Yevgeny Prigozhin, surnommé « le cuisinier de Poutine », tire supposément les ficelles des entreprises du groupe de sécurité privé, « il n’a aucun poste officiel au sein de la Fédération ou dans cette entreprise. En réalité, Wagner n’existe même pas », confie un haut responsable diplomatique au Journal de l’Afrique.
Une épine dans le pied de Guterres
Les mandats du panel d’experts sur le Soudan du Sud ont expiré le 1er juillet dernier. Pour la RDC, le 1er août, pour la RCA le 31 août et pour le Mali le 30 septembre. Tant que le représentant russe à l’ONU n’aura pas accepté les nominations du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, pour de nouveaux mandats, les experts ne pourront pas commencer à travailler. Guterres nomme des groupes de quatre à six experts indépendants pour chacun des régimes de sanctions des Nations unies. Ces experts surveillent et rapportent au Conseil de sécurité les violations, et recommandent des mesures supplémentaires.
Chaque année, le Conseil de sécurité renouvelle les différents régimes de sanctions et les mandats des groupes. Guterres écrit ensuite une lettre au conseil pour lui dire quels experts il a nommés, et l’organe de 15 membres – par consensus – approuve alors sa décision, permettant au panel de commencer ses travaux. La Russie retarde également la nomination d’un expert remplaçant au sein du groupe chargé de surveiller les sanctions contre la Somalie, ont déclaré des diplomates à Reuters. Les autres experts de ce panel peuvent cependant continuer à travailler jusqu’à l’expiration de leur mandat à la mi-décembre.
Pourquoi la Russie retarde-t-elle les nominations ?
Une raison liée aux textes onusiens existe également, expliquant pourquoi la Russie tape du poing à propos des nominations de Guterres. Tout d’abord, les commissions, panels et experts individuels dans les pays concernés ont pris la fâcheuse habitude de dépasser leurs mandats. Mais l’ONU met surtout les intérêts russes à mal : en RCA et au Sud-Soudan, les recommandations des experts de l’ONU de décembre 2020 et janvier 2021 ont conduit à un embargo sur les ventes d’armes aux Etats concernés. Les deux pays représentant le pré-carré de l’influence russe en Afrique, il était normal que Moscou réagisse.
Plus tôt cette année, le groupe d’experts surveillant les sanctions contre la RCA a accusé les instructeurs militaires russes et les troupes centrafricaines d’exécutions sommaires, entre autres. Le Kremlin a nié ces allégations. « Certains des experts ne répondent pas aux exigences d’impartialité, de neutralité et d’indépendance », déplore Polyanskiy pour qui « cela affecte les résultats de leur travail. Cette situation devrait être corrigée ».