Accusé à de multiples reprises d’espionnage depuis 2018, Huawei a continué de signer des accords avec plusieurs pays africains et même avec l’UA.
Lors de la première édition du Cyber Africa Forum (CAF), qui s’est tenu le 7 juin à Abidjan, le vice-président exécutif de Huawei Northern Africa, Philippe Wang, est intervenu pour dévoiler la stratégie du fournisseur chinois d’infrastructures de technologies de l’information et de la communication. « Huawei accompagne les Etats africains dans leur transformation digitale, car l’économie numérique est l’avenir du continent », a indiqué le dirigeant du groupe chinois, qui affirme mettre « à disposition des solutions software et hardware aux Etats africains pour assurer leur souveraineté numérique ».
Mais peut-on s’assurer d’une souveraineté numérique lorsqu’on laisse autant de place à un opérateur étranger ? Huawei réalise actuellement 20% de son chiffre d’affaires en Afrique et couvre plus de 60 % des installations 3G et 4G. Huawei est le quatrième vendeur de smartphones en Afrique. Banni des Etats-Unis sous l’administration Trump, le géant chinois s’est logiquement tourné vers le continent africain pour surmonter la crise. « Malgré la propagande américaine, Huawei jouit d’une relation saine avec les gouvernements et grandes entreprises en Afrique », assure Philippe Wang, pour qui « la vision de Huawei en Afrique est de rendre le numérique accessible dans chaque foyer, pour un monde intelligent et entièrement connecté ». Mais à quel prix ?
En août 2019, Huawei faisait parler de lui. Le Wall Street Journal avait en effet publié une enquête montrant comment Huawei avait vendu du matériel de surveillance et des logiciels de reconnaissance faciale à 24 pays africains, de la Tunisie au Rwanda, en passant par le Ghana, le Nigeria ou encore la Côte d’Ivoire. En Zambie et en Ouganda, des experts de Huawei auraient même formé les autorités locales à l’espionnage de leurs opposants politiques, en leur apprenant à accéder aux téléphones de ces derniers à distance et en ayant la possibilité d’accéder à leurs comptes Facebook, voire en interceptant des appels téléphoniques. Rapidement, Huawei avait réagi à cette enquête en rejetant « complètement les allégations infondées et inexactes du Wall Street Journal contre ses activités commerciales en Ouganda et en Zambie ».
Des accords politiques plus que technologiques
Un an plus tôt, c’est Le Monde qui accusait Huawei d’espionnage. Mais cette fois, le journal français affirmait que c’est le siège de l’Union africaine (UA) — un don de la Chine — qui avait été écouté par les Chinois pendant plusieurs années. Mais « l’UA a procédé à un audit complet de son système informatique au sein de l’ensemble de l’organisation », et « les conclusions démentent les propos avancés dans les médias l’année dernière », assurait Wang au moment de signer un nouvel accord de collaboration pour cinq années avec l’UA en juin 2019. Et ce malgré les rumeurs de stockage des données de l’Union africaine sur un serveur situé à… Shanghaï.
Huawei a tissé sa toile partout sur le continent, participant notamment au déploiement de la 5G, comme au Kenya. « En tant que gouvernement, nous sommes conscients des questions liées au fournisseur et à la technologie, mais certaines d’entre elles relèvent davantage de la politique que de la technologie », admettait Joe Mucheru, ministre kényan des Technologies de l’information et de la communication. Pour Cyril Ramaphosa, le président sud-africain, les accusations contre Huawei proviennent des Etats-Unis. Là encore, il s’agit d’une réponse politique, Pretoria et Pékin entretenant des relations privilégiées, puisque l’Afrique du Sud et la Chine sont tous deux membres des BRICS, une organisation créée en 2006.
Malgré les tentatives des dirigeants africains de rassurer quant à la fiabilité de Huawei, le doute subsiste. Au-delà de l’espionnage d’opposants, le groupe chinois est également accusé d’espionner les gouvernants des pays avec lesquels il commerce. En Tunisie, au terme des législatives de 2019, chaque député élu à la Chambre des représentants du peuple s’était vu offrir une tablette par Huawei, sans que cela n’émeuve outre-mesure les plus hautes instances de l’Etat. Pire, la marque chinoise fournirait également des smartphones aux policiers en leur proposant d’alléchantes réductions. En se jetant dans les bras de Huawei, les pays africains, par négligence, laissent ainsi la possibilité au géant chinois de mettre la main sur leur souveraineté numérique.