Le sommet G5 Sahel commence ce lundi au Tchad sans représentation française. Le temps de mise est terminé, Emmanuel Macron a reçu les présidents des cinq Etats du G5 Sahel et la France décidera de son rôle dans l’essor d’une guerre qui dure depuis 7 ans désormais. La France aura-t-elle ses troupes coloniales pour contenter son état-major grognon ? Oserait-elle laisser en plan ses alliés régionaux et européens investis dans la guerre contre le terrorisme dans la zone sahélo-saharienne ?
Une guerre par procuration
La sémantique est brouillée. L’opération Barkhane représente à elle seule, sans parler des déploiements militaires français précédents, sept guerres successives perdues par la France et ses alliés contre les groupes terroristes de la bande sahélo-saharienne. L’ennemi est plus fort et plus uni et la France négocie avec lui depuis un an maintenant.
Personne ne peut nier que le recrutement chez l’EIGS, l’AQM et le GSIM n’a fait que gagner l’argument de la lutte contre le colonisateur dans le contexte africain, ces groupes terroristes ont vu leurs troupes s’agrandir à chaque fois que l’interventionnisme français cause des morts civiles.
Pour un citoyen malien, tchadien, nigérien ou burkinabé, peu importe qui porte l’arme lorsque les siens tombent sous les balles. Ensuite, le passé colonial de la France et les intérêts privés des sociétés françaises dans la région rendent l’image d’une France alliée moins probable.
Entre Bouygues, Orange, Geocoton, Bolloré, Rougier, Areva et les 176 autres entreprises françaises du CIAN qui pillent les richesses de l’Afrique depuis plus de 30 ans pour certaines, on a du mal à imaginer l’armée française combattre le terrorisme en Afrique pour des raisons humanitaires et « le maintien des relations bilatérales entre la France et ses partenaires africains » …
À vrai dire, ce n’est un secret pour personne, l’équité n’existe pas dans les relations internationales. La convocation d’Emmanuel Macron de ses « homologues » du Sahel africain, suivie du coup de com de son absence du sommet G5S ne sont que la manifestation d’un Gouvernement français qui fait de l’épate pour rappeler aux pays concernés qu’ils ont intérêt à être leur chair à canon dans la guerre contre le terrorisme.
Barkhane, des intérêts américains?
L’allié le plus important de la France au Mali et les pays voisins a toujours été les Etats-Unis d’Amérique. Le soutien logistique de l’Africom a permis à la France ses quelques récentes victoires, à l’image de la liquidation de Droukdel, Madani et El-Hassan.
Cependant, depuis 2018, à mesure que la France élargissait le cercle des pays impliqués dans Barkhane, l’Africom se retirait petit à petit, pendant 17 mois, l’Africom est passé au silence radio : Plus de renseignements, plus de drones.
Puis, la collaboration militaire franco-américaine en Afrique a repris de plus belle, à la suite d’une commande d’armes passée par le ministère des armées français. La transaction a été couverte par la société italo-américaine Beretta USA et d’autres représentants européens de sociétés d’armements américains, comme BAE Systems et Leonardo, afin de ne pas se dire que l’armée française achète ses armes hors de l’Europe. D’autres armes, plus exclusives, comme les systèmes de brouillage pour les blindés et les systèmes de communication, ou encore les missiles PATRIOT, ont été directement achetés au géant américain Raytheon Technologies.
- La présence américaine en Afrique est plus prononcée à l’est du continent, mais l’Africom continue à assister l’armée française afin de contrôler le soutien logistique de l’EIGS présent au Niger et au Tchad aux troupes de Boko Haram au Nigeria et au Cameroun. Une éventuelle alliance entre ces partenaires historiques pousserait les Etats-Unis à investir des troupes en Afrique de l’ouest, ce qui ne servirait pas les intérêts du gouvernement américain actuel.
- Si la France réduit sa présence au Sahel, en revanche, cela froisserait sa relation avec les Etats-Unis. L’enjeu géopolitique est considérable. Deux nations ont rejoint la course au pillage de l’Afrique : La Chine et la Russie. Cette dernière a conquis entre 2009 et 2020 la place du vendeur d’armes plus important de l’Afrique. La Chine, elle, arrive en troisième place. La Chine a aussi augmenté la présence de ses sociétés en Afrique de 3700% en 10 ans.
Tout cela pose clairement une menace aux intérêts américains et ceux de ses alliés investis dans la région, notamment la France et Israël. La pression effectuée sur les pays du G5S prend donc tout son sens, il s’agit d’une guerre diplomatique entre l’est et l’ouest, dont le champ de bataille est l’Afrique subsaharienne.
Enjeu humanitaire
Selon la Directrice du bureau du Sahel africain de Human Rights Watch, Corinne Dufka : « Les meurtres des civils commis par les soldats autant que les terroristes sont en train d’alimenter le recrutement chez les groupes armés et d’approfondir la crise sécuritaire dans la région ».
Plusieurs ONG, en l’occurrence Human Rights Watch et les Nations Unies, ont appelé les nations du G5 Sahel et leurs partenaires, à l’occasion du sommet du G5S, d’assurer la discipline des opérations antiterroristes et de rendre compte des abus et des crimes commis par les soldats autant que par les terroristes. Afin d’éviter d’autres atrocités, les Droits de l’Homme devaient être le centre des discussions durant le sommet selon les Nations Unies.
Il y’a eu depuis octobre 2019 plus de 600 meurtres de civils commis par les forces de sécurité au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Quant aux groupes terroristes AQMI et EIGS, ils ont commis en janvier 2021 le meurtre de plus de 100 villageois au Niger, 41 au Mali et plus de 350 au BFA.
Le sommet du G5 Sahel devrait aussi aborder la crise de réfugiés causés par les récentes attaques de l’EIGS à l’est du Burkina Faso et par l’AQMI à l’ouest du Niger. Selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, plus de 57.000 personnes ont dû quitter leurs demeures depuis le début de l’Opération Barkhane. Les 2 camps de réfugiés principaux, au sud-est du BFA, ont subi 13 attaques terroristes durant les 5 derniers mois seulement.
La question qui se pose est si les pays membres du G5 Sahel devraient contribuer des troupes pour la protection des établissements des sociétés françaises, ou établir et renforcer des camps de réfugiés près des zones de guerre ?
La question n’est pas vraiment rhétorique, car c’est loin d’être un non-choix pour les pays du G5S. Seuls les prochains jours nous apporteront une réponse.
L’armée Française au Mali
En observant le contexte du sommet G5S et les différents enjeux à considérer (sécuritaire, politique et diplomatique). La réelle question au centre des discussions lors de ce sommet sera le plan militaire français.
Le sujet a été abordé lors de la réunion du Sénat français du 9 février 2021, aucun accord n’a été possible. Chez l’exécutif non plus d’ailleurs, depuis l’échange de prisonniers d’octobre 2020, l’état-major Barkhane a été hostile envers son propre gouvernement, lâcher 200 terroristes dans la nature sans contre-mesures préalables ou consultation des militaires a causé un sentiment d’abandon chez les militaires français.
Suite à la présentation du bilan de l’Opération Barkhane, le général Marc Conruyt, commandant de l’opération a déclaré que les réussites militaires déclarées par le Gouvernement français étaient des actions d’opportunité. De son côté, le général François Lecointre (CEMA) a déclaré que l’indicateur de réussite de Barkhane ne devrait pas être le nombre de terroristes tués, mais le retour des institutions étatiques dans les régions conquises par les terroristes.
Ces deux déclarations dévalorisent clairement un bilan que Macron a présenté comme une conquête militaire hors du commun au Mali.
Ce désaccord entre l’état-major et le Gouvernement français expliquerait pourquoi Macron, lors de sa rencontre avec les chefs d’Etat du G5 Sahel, a insisté sur la nécessité de contributions de troupes de leur part. Il faut rappeler que le Tchad menace de retirer ses troupes déployées au Mali et au Nigeria depuis quelques mois, on pourrait spéculer que c’est exactement pour cette raison que le Tchad est en train de médier les positions des autres Etats lors de ce sommet du G5S.
Le choix est donc simple:
- Si la France contribue plus de troupes, elle gagne la confiance de certains de ses alliés militaires mais pourrait causer une crise diplomatique avec le Mali, le Burkina Faso, la Russie et la Chine.
- Si le gouvernement Français décide une réduction de troupes, en s’engageant à soutenir les forces tchadiennes, maliennes et burkinabé financièrement, ça reviendrait à couper les ponts avec l’état-major Barkhane et les Etats-Unis.
On peut s’attendre à ce que la décision soit prise dans les semaines prochaines, et qu’elle dépende du déroulement du sommet du G5 Sahel.