Des Ethiopiens pro-gouvernementaux ont manifesté contre les sanctions américaines dues au massacre de la guerre du Tigré. Un bras de fer oppose donc l’Ethiopie aux Etats-Unis, dans un contexte aggravé par la crise du GERD.
Depuis le communiqué du 23 mai du secrétaire d’Etat américain Antony Blinken, annonçant une série de sanctions contre l’Ethiopie, la diplomatie éthiopienne s’est mobilisée. Après des dénonciations de ces sanctions de la part du ministre des Affaires Etrangères, Demeke Mekonnen, ce sont maintenant les citoyens qui s’y attèlent. Selon les médias éthiopiens, plus de 10 000 personnes ont protesté samedi contre les sanctions américaines. Le rassemblement, tenu au stade d’Addis-Abeba, contenait sans doute moins de protestataires que cela.
Toutefois, la manifestation porte deux autres significations. En effet, les contestataires dénoncent l’entrisme étranger, mais aussi la position internationale sur le conflit du barrage de la Renaissance (GERD). Ce dernier oppose l’Ethiopie au Soudan et l’Egypte. Jusque-là, la position éthiopienne était soutenue par les Etats-Unis et Israël. La position Egyptienne est appuyée par plusieurs Etats africains et l’union européenne (UE).
Certaines pancartes des manifestants lisaient donc : « Ne touchez pas à l’Ethiopie ». D’autres indiquaient : « Remplissez le barrage ». La manifestation était sans doute plus importante que les rassemblements typiques pro-Abiy Ahmed. La narrative plébiscitée par le pouvoir éthiopien serait que le pays soit victimisé par les puissances mondiales. Ce qui pourrait bien être un fait avéré. Cependant, l’armée éthiopienne et son alliée érythréenne sont en train d’opérer un génocide au Tigré. Cela, aussi, est un fait avéré.
Pro-genocide protesters in Ethiopia! #TigrayGenocide https://t.co/nvMAhPTHSd
— Azeb ❤️💛 (@Azeb_Asg) May 30, 2021
Pourquoi les Etats-Unis retournent-ils leur veste ?
Depuis l’ascension d’Abiy Ahmed au pouvoir, l’Ethiopie a fait du chemin. Accords multilatéraux de développement et relations diplomatiques compris, le pays a effectivement changé. Ce qui a également changé est aussi le monopole du pouvoir par le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT). Le mouvement politique avait contrôlé l’Ethiopie depuis que l’Etat existe.
Actuellement, le FLPT est classé comme « organisation terroriste ». C’est d’ailleurs un point de divergence notable entre un Abiy Ahmed assoiffé de sang et les Etats-Unis qui ont le mot « terroriste » traditionnellement facile. C’est aussi une différence d’opinion que Demeke Mekonnen s’est assuré de dénoncer.
Mais là encore, les armées éthiopienne et érythréenne ne s’attaquent pas seulement aux membres du FLPT. Bien que ce fait soit discutable. En particulier, les forces d’Amhara, région abritant l’élite du groupe ethnique d’Abiy Ahmed au demeurant, lancent les opérations majeures au Nord tigréen. Depuis le début de la guerre, les armées nationales ont causé des meurtres civils, considérés jusqu’alors comme des dégâts collatéraux. Depuis deux semaines, c’est un autre mode opératoire qui a été adopté par les forces armées de l’Ethiopie et de l’Erythrée.
En effet, le commandement d’Amhara a fait des raids sur les camps de réfugiés dans l’Ouest du Tigré. Les soldats ont enlevé des réfugiés et les ont relâchés dans le désert, leur interdisant de revenir dans les camps. Beaucoup, dont des personnes âgées, des femmes et des enfants, meurent donc de faim et de soif. Bien que cela représente une réaction aux sanctions américaines, il s’agit d’un crime génocidaire, par normes et par clauses. Seuls les réfugiés de l’ethnie Tigré sont exclus. Et le gouvernement éthiopien ne donne aucune explication à ces agissements.
Blinken turns to ‘effective partner’ Egypt to calm Middle East https://t.co/dmSkD49Eqt
— Merid Zeru (@ErythreaNow) May 26, 2021
Abiy Ahmed aime ses génocides propres, mais pas tant que ça
Pour les Etats-Unis, la guerre du Tigré a trop duré, et occupe les titres de presse depuis des mois. Tant et si bien que même leur alliée, l’entité sioniste Israël, s’est aussi désolidarisée d’Abiy Ahmed. Israël a en effet renvoyé les hébreux éthiopiens et arrêté les ventes d’armes pour l’armée éthiopienne. Il faut se poser des questions lorsqu’un Etat génocidaire tourne le dos à un gouvernement sur fond de génocide.
Un autre facteur commence aussi à devenir clair. Des milliers de civils son morts, plus de 2 millions ont été déplacés par la guerre. Les rapports des ONG de tous bords dénoncent des exécutions sommaires, des viols collectifs, de la torture et l’interdiction des aides humanitaires. En l’occurrence, une bonne vingtaine de membres de l’état-major éthiopien font l’objet d’enquêtes des instances internationales pour ces exactions.
Face à ces accusations, documentées et prouvées, Abiy Ahmed a annoncé que l’armée érythréenne se retirerait depuis mars. Alors qu’il avait nié sa présence pendant des mois. Ensuite, il a annoncé à trois reprises la fin de la guerre, alors que les bombardements et les assauts continuent au Tigré. Pour peu que ce soit une « affaire interne » qui subit une « ingérence étrangère », l’Ethiopie ne devrait pas dénoncer les sanctions internationales.
Néanmoins, c’est le cas. Les reporters à Addis-Abeba ont aussi récolté des dizaines de témoignages des participants aux manifestations pendant le weekend. Beaucoup ont avoué que les autorités les avaient chargés de rassembler des gens contre rémunération. Or, ce n’est pas en payant ses propres citoyens pour manifester que l’opinion internationale change habituellement.
More than 2,000 civilian victims of the conflict in Ethiopia’s war-torn Tigray region have now been identified, but thousands more are still unaccounted for, researchers say https://t.co/aWcbjgpMlk
— The Times (@thetimes) May 30, 2021
Abiy Ahmed et le GERD, la perte de la raison
Le remplissage du Grand barrage de la Renaissance (GERD) est une autre problématique à laquelle les manifestants croient plus sincèrement. L’Ethiopie souffre d’une crise économique comme plusieurs autres pays. Mais elle souffre aussi d’une crise énergétique, et l’eau potable est de moins en moins disponible.
C’est d’ailleurs l’argument principal que brandit Abiy Ahmed lorsque ses interlocuteurs africains abordent le dossier GERD. Plusieurs médiateurs sont intervenus dans les pourparlers entre l’Ethiopie et l’Egypte. Or, ni l’une ni l’autre, et surtout pas le chef d’Etat égyptien al-Sissi, ne sont intéressés par une solution pacifique.
Les choses ont empiré avec l’intervention africaine et internationale. Le sommet de l’Union africaine (UA) sur le GERD, sous l’égide de son président Félix Tshisekedi, a échoué. Il a même représenté une opportunité pour Addis-Abeba et le Caire pour conclure des accords militaires et inclure d’autres pays africains dans leur querelle. A savoir l’Ouganda, le Soudan et la Somalie.
Quant aux efforts diplomatiques de l’Union européenne (UE) et de l’ONU, elles n’ont apporté que des facteurs aggravants. La France a décidé de vendre des jets militaires à al-Sissi. Et l’ONU a levé l’embargo sur les armes du Soudan du Sud, permettant à l’Ethiopie de se fournir plus rapidement en armes chinoises.
Les sanctions américaines sur l’Ethiopie font alors pencher la balance en faveur de l’Egypte dans cette guerre d’influence. Il faudrait s’attendre à une montée de ton et des provocations égyptiennes dans le futur. Il ne faudrait pas non plus espérer un apaisement de la guerre du Tigré de la part d’Abiy Ahmed. Un Prix Nobel de la paix, obsédé par la guerre.