Très actives dans les médias et sur les réseaux sociaux, les diasporas africaines tentent de bouleverser l’ordre établi dans leurs pays d’origine. Bien souvent sans grand succès.
Face aux coups de semonce d’une diaspora de mieux en mieux organisée, les régimes africains tremblent mais ne faiblissent pas. Depuis plusieurs années, la résistance aux régimes en place sur le continent se joue à des milliers de kilomètres, dans les médias internationaux, sur les réseaux sociaux et même sur des sites d’opposition créés par les diasporas elles-mêmes. Aussi bien acteurs de la société civile que farouches opposants politiques, les membres des diasporas africaines donnent de la voix. Mais tous ont en commun de s’égosiller dans le vide… Lancé de France, le Collectif pour la Transition en Guinée a par exemple eu une véritable vitrine médiatique au moment de l’élection présidentielle dont Alpha Condé était le favori. Mais l’autoritaire chef de l’Etat guinéen s’est une nouvelle fois déclaré vainqueur, laissant le CTG mourir à petit feu.
Des diasporas qui prennent peu de risques
C’est, à quelques détails près, le point commun de toutes les diasporas africaines : elles ont pignon sur rue dans les médias internationaux, notamment français, mais semblent ne rien peser dans leurs pays d’origine, qui les regardent du coin de l’œil. Ou en tout cas si peu. Exemple avec le Gabon, où Ali Bongo règne en maître depuis 2009. La diaspora gabonaise installée en France a organisé de nombreux sit-in mais également des marches vers le consulat du Gabon à Paris. Mais pour quel impact réel à Libreville ? Delphine Lecoutre, politologue, qui s’est intéressée à cette diaspora gabonaise, estime sur RFI que celle-ci vit dans une « bulle médiatique ».
Et si « elle a envahi l’espace des réseaux sociaux et des médias, en attaquant le régime », la diaspora gabonaise a, comme pour les autres pays, cette terrible image d’agir à l’abri, derrière ses ordinateurs, et de ne prendre aucun risque, là où les contestataires présents sur le territoire gabonais entrevoient la mort ou la prison lorsqu’ils sortent dans les rues pour dire non au pouvoir en place. « Ceux qui mènent la lutte, ce sont ceux qui sont au Gabon. Ce sont ces organisations de la société civile qui posent des actions au quotidien, même si celles-ci passent souvent en dehors des écrans radar de la communauté internationale », admet Delphine Lecoutre. Autrement dit, la diaspora peut s’avérer tout au plus être une amplificateur de la contestation.
Des relais médiatiques et sur les réseaux sociaux
Quitte à travestir la réalité. Si les diasporas congolaise, togolaise ou béninoise sont omniprésentes dans les médias et sur les réseaux sociaux, usant et abusant des fake news, dans les pays concernés, les présidents sortants continuent à faire des scores importants lors des scrutins présidentiels. Les diasporas ont beau toujours crier à la fraude, sur le terrain, la réalité est différente. La faute certainement aux médias internationaux qui se contentent de relayer les propos des opposants installés à l’étranger sans bouger de leurs bureaux installés dans les capitales européennes. Récemment, une étude de l’ONG Africa No Filter montrait comment, dans la presse internationale, les « récits stéréotypés sur l’Afrique » ne sont pas en phase avec la réalité d’aujourd’hui.
Il faut dire que les méthodes des diasporas africaines sont rodées : qu’elles soient du Togo, du Sénégal ou des pays d’Afrique du Nord à l’instar de l’Algérie, toutes organisent régulièrement des marches dans des lieux symboliques comme le Trocadéro ou la place de la République, attirant les regards et les micros de tous les journalistes français. Certaines ne font que relayer des contestations nationales. C’est le Hirak qui a poussé les Algériens de France à sortir dans la rue, pas l’inverse. Pour le Sénégal, c’est à Dakar qu’on eu lieu les premières manifestations massives, avant que cela ne se poursuive sur la place de la République à Paris. Mais parfois, les diasporas tente d’être à l’origine de mouvements qui ne trouvent aucun relais dans leurs pays d’origine respectifs.
Cette opposition symbolique gêne les régimes en place
Malgré tout, le brouhaha des diasporas, aussi peu suivi d’effets soit-il, gêne les régimes en place. Les réseaux sociaux sont scrutés au quotidien dans les pays concernés et les pouvoirs des différents pays africains se sentent mis sous pression. Notamment parce que les diplomaties occidentales sont elles aussi très attentives aux contestations. Et ce qui marque dans ces relations entre les diasporas et les pays d’origine, c’est cette opposition presque systématique. Là où les mouvements d’opposition sont relativement atones dans la plupart des Etats africains, les diasporas n’hésitent pas à se lever, à distance, contre des présidents jugés autocrates, et à donner de la voix.
A quoi est due cette opposition et cette hostilité systématiques des diasporas vis-à-vis des régimes en place en Afrique ? Et à quoi sert-elle réellement ? La politologue Delphine Lecoutre y voit une affection particulière, de la part des Africains, pour la liberté d’expression dans les pays occidentaux qu’ils retrouvent rarement dans leur pays d’origine. « Si la diaspora gabonaise d’opposition reste active en France — ils ont un slogan ‘On ne lâche rien’ —, c’est d’abord parce qu’elle profite d’un espace de liberté politique et civique qui n’existe pas au Gabon. Là-bas, l’espace politique et civique est extrêmement restreint et contraint », résume la chercheuse. Et parfois, plutôt rarement, les diasporas arrivent à leurs fins : internationaliser leurs actions.
Une absence de reconnaissance dans les pays d’origine
En septembre 2019, alors qu’il est à Barcelone, l’Egyptien Mohamed Ali, un homme d’affaire autrefois allié du régime, avait déclenché à distance des manifestations au Caire pour protester contre Abdel Fattah Al-Sissi. Loin d’être aussi bridés que chez eux, les opposants africains usent des réseaux sociaux pour dénoncer la corruption ou les restrictions des droits humains dans leurs pays d’origine. Un caillou dans la chaussure des dirigeants. Car il arrive aux diasporas de trouver des oreilles attentives. Depuis son arrivée au Palais de l’Elysée, le président français Emmanuel Macron assure qu’il est prêt à écouter les « sociétés civiles africaines » pour gérer au mieux les transitions politiques sur le continent. De quoi inquiéter les présidents « à vie » du continent.
Du côté des pays africains, cette écoute et les relais médiatiques accordés aux oppositions déplaisent aux chefs de l’Etat qui tentent, par tous les moyens, de marginaliser les diasporas ou de les mettre à l’index. Et cela passe par une absence de reconnaissance qui les exclut, de facto, des débats nationaux. A peine une dizaine de pays africains, parmi lesquels le Sénégal ou la Tunisie, proposent une représentation parlementaire à leurs diasporas. L’Algérie, elle, a décidé de voter une loi de déchéance de la nationalité pour ses citoyens vivant à l’étranger qui commettraient « des actes portant volontairement des préjudices aux intérêts de l’Etat ». Quant à la quarantaine d’autres pays, ils préfèrent ne donner aucune existence légale aux membres de leurs diasporas, en les laissant s’égosiller dans le vide…