Alors que les 15 000 décès dus au coronavirus ont été dépassés en Tunisie, le laxisme du gouvernement et le manque de moyens laissent présager le pire.
Il est des prévisions que l’on aimerait ne pas voir se concrétiser. En avril 2020, Jaber Belkhiria, un chercheur du service épidémiologie de l’Université de Californie, réalisait un graphique des prévisions quant à l’évolution du coronavirus en Tunisie. Et le chercheur prévoyait alors que la Tunisie dépasserait le seuil des 15 000 décès dus à la Covid-19. Un peu plus d’un an plus tard, les 15 000 décès ont fini par être dépassés. La Tunisie n’en finit en effet plus de compter ses morts. Avec une centaines de nouveaux morts quotidiens, le pays en est aujourd’hui à plus de 15 500 décès depuis le début de la pandémie.
L’universitaire, également membre du comité scientifique du Centre tunisien pour la santé publique, une ONG qui regroupe de nombreux spécialistes de la santé, se demandait alors dans quelle mesure la Tunisie était capable de surmonter la crise sanitaire. A l’époque, les internautes tunisiens avaient minimisé les dires du chercheur, dont les prévisions semblaient totalement hors-sol, alors qu’à peine 23 décès avaient officiellement été confirmés par le ministère de la Santé.
La Tunisie n’a pas voulu se préparer au pire
Mais celui-ci estimait dans un article que « la structure sanitaire tunisienne reste fragile et géographiquement répartie de manière inégale » et que « faire face aux épidémies est une nouvelle réalité à laquelle le pays n’est manifestement pas préparé ». Jaber Belkhiria déplorait alors le faible nombre de lits de soins intensifs dans le pays, limité à 240 dans le service public et 280 dans le service privé.
Un an plus tard, le virus est hors de contrôle en Tunisie. Et les gouvernorats enchaînent les confinements, à l’exception du Grand Tunis, marqué par un premier confinement qui a eu des répercussions économiques importantes. Or, dans la capitale, indique La Presse de Tunisie, le quotidien francophone de référence dans le pays, « le taux de contamination a dépassé le seuil toléré (636 cas pour 100 000 habitants) et exige, selon les directives du Comité national de lutte contre le coronavirus, l’application de mesures appropriées, en l’occurrence le confinement général, le bouclage du gouvernorat, le couvre-feu à 20h00 et la limitation des activités commerciales ».
Et la découverte du variant indien dans la région de Sousse n’arrange pas les affaires tunisiennes. D’autant que le gouvernement comptait sur l’arrivée de l’été pour faire le plein de touristes. Mais la recrudescence de cas de contaminations bouscule les plans du secteur : l’Union européenne envisage en effet d’inscrire la Tunisie sur sa liste rouge, ce qui isolerait le pays et provoquerait l’interdiction des vols en provenance et en direction de la Tunisie, sauf pour les cas impérieux.
Des hôtels vides et des hôpitaux saturés
Si les hôtels sont donc relativement vides, les hôpitaux, eux, sont saturés. Le gouvernement sait qu’il est confronté à une situation « critique », mais semble dépourvu d’une quelconque stratégie sanitaire. Après le reconfinement d’une trentaine de communes, jusqu’au 11 juillet au moins, les autorités locales ont bien du mal à rassurer d’éventuels touristes, qui ont décidé de fuir la Tunisie cet été.
Reste cependant un espoir : la campagne de vaccination. Mais là encore, c’est la débandade. La campagne a pris un retard énorme. Le 11 juin, la Tunisie n’avait reçu que 1,6 million de doses pour près de 12 millions d’habitants. A peine un peu plus de 10 % des Tunisiens avaient alors reçu une première dose, 5 % des habitants étant complètement vaccinés.
L’an dernier, le pays a bien tenté d’en venir à bout de la pandémie en mettant en place des mesures strictes. Mais après ces dernières, les populations se sont totalement relâchées et il a été impossible pour le gouvernement d’imposer de nouvelles mesures contraignantes. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir dans les boutiques tunisoises ou dans les rues des gens ne portant pas le masque. Si Hichem Mechichi, le chef du gouvernement, semble totalement dépourvu face à la pandémie, il a, de plus, hérité de l’inaction de son prédécesseur, Elyes Fakhfakh, qui avait eu du mal à gérer la pénurie de masques, mais surtout de tests PCR et de lits de réanimation.
Les autorités ont également mal géré leur communication. Elles pensaient certainement, à la fin de l’été dernier, en avoir terminé avec le coronavirus. Et la crise politique n’a rien arrangé : depuis le début de la pandémie, la Tunisie a vu trois chefs de gouvernement se succéder, mais également trois ministres de la Santé. Abdellatif el-Mekki, après avoir lorgné sur la Kasba plutôt que de s’occuper de la crise sanitaire, a en effet laissé sa place à Habib Kchaou, remplacé ensuite par Faouzi Mehdi. L’excès de confiance de l’exécutif tunisien, ajouté à un laxisme généralisé, mais également au manque de matériel et de personnel, a conduit la Tunisie dans une situation critique, dont on a du mal à voir l’issue.