A l’occasion de la Journée mondiale de la dignité des victimes de la traite des humains, célébrée le 30 juillet, où en est-on de la lutte contre l’esclavage moderne en Afrique ?
Dix-sept ans après que la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale a vu le jour, les résultats de la lutte contre la traite des humains en Afrique restent mitigés. Certes, les efforts contre ce fléau mondial n’ont cessé d’être déployés ces derniers années et le sujet est largement traité dans les médias et au sein des instances internationales. Toutefois, dans plusieurs pays africains, l’esclavage moderne est encore une réalité, dont on a du mal à se débarrasser.
Au centre de la lutte contre la traite transfrontalière des humains, l’Office des Nations unies pour la lutte contre la drogue et le crime (ONUDC) a déploré à plusieurs reprises le manque de considération des spécificités de l’esclavage moderne. Un trafic mondial qui serait estimé à 32 milliards de dollars : l’Afrique est le deuxième continent, après l’Asie, sur lequel la traite des humains est la plus répandue.
Au moins 73 % des victimes en Afrique sont des femmes et des enfants, selon l’ONUDC. Parmi elles, 40 % sont astreintes au travail forcé, notamment dans les industries agricoles, minières, la pêche et, dans une moindre mesure, dans les travaux domestiques. Les victimes d’esclavage moderne sont particulièrement vulnérables.
Cacao et uranium, des secteurs pourvoyeurs de mineurs
Un constat alarmant et qui pose question. La sensibilisation au niveau des Etats est-elle suffisante ? Et qu’en est-il des lois ? En tête des pays où l’esclavage moderne est peu réprimé, on retrouve l’Erythrée, le Burundi, la Côte d’Ivoire, le Niger et le Ghana. Des pays où les activités minières et agricoles sont omniprésentes.
La culture du cacao au Ghana et en Côte d’Ivoire pousse des exploitants agricoles peu scrupuleux à participer à cette traite d’humains. Les deux pays ouest-africains, pourtant hautement industrialisés, comptent selon l’ICI respectivement 530 000 et 778 000 mineurs engagés dans la culture de cacao, selon des chiffres datant de 2014. En juin 2021, alors qu’une jurisprudence en la matière devait permettre de favoriser les victimes de l’esclavage moderne, la Cour suprême des Etats-Unis a opté pour un soutien aux géants de l’agroalimentaire, Cargill et Nestlé.
Au Niger, c’est l’industrie de l’uranium — particulièrement les Français d’AREVA — qui est la plus souvent pointée du doigt pour sa tolérance vis-à-vis des embauches de mineurs participant ainsi à l’extraction artisanale. Au-delà des dangers de cette industrie, on compte au moins 58 000 enfants qui travailleraient dans l’extraction et le transport de matériaux radioactifs. Depuis l’an 2000, on compte 87 procédures judiciaires, dont 83 ont abouti à un arbitrage en faveur des industriels et au détriment des victimes.
Guerre et pauvreté, les causes de l’esclavage moderne en Afrique
Si les géants de l’industrie, notamment occidentale, sont régulièrement sur le banc des accusés, l’esclavage moderne en Afrique est en réalité surtout pratiqué dans les secteurs de la grande criminalité et de la guerre. L’Erythrée détient le triste record de près de 10 % de victimes d’esclavage au sein de sa population. Elle est suivie de près par le Burundi, avec 4 % de la population victime de traite d’humain, selon l’indice mondial de l’esclavage.
Dans ce cas, la traite humaine se caractérise par l’asservissement domestique et l’exploitation sexuelle. L’ONU parle de 63 % des victimes en Erythrée, au Burundi, en RCA, en Somalie et au Mozambique qui seraient « forcées de se marier sans leur consentement ». Selon le bureau international du travail, le mariage forcé peut être pratiqué en échange d’argent ou de remboursement de dettes.
Selon Human Rights Watch, les Etats africains ont multiplié les initiatives pour mettre fin aux mariages forcés depuis 2015. Toutefois, l’Unicef affirme que si les taux sont en baisse en Afrique subsaharienne, l’esclavage domestique connait un pic en Libye et en Somalie. Sans oublier la Mauritanie, où l’esclavage continue de faire débat. Enfin, en Erythrée, l’impossibilité d’obtenir des chiffres officiels fait craindre le pire, avec les réfugiés éthiopiens qui traversent la frontière par dizaines de milliers.
Des signes encourageants au Ghana et en RDC
De nouveaux quotas de lutte contre l’esclavage moderne ont été imposés par l’ONU. Le Trafficking Victims Protection Act (TVPA) américain a été repris dans la loi de 2016 de l’ONUDC. Et selon l’organe onusien, « aucun pays africain ne satisfait les normes minimales de la TVPA pour l’élimination de la traite des humains », cite un rapport de 2020.
Actuellement, 19 pays africains figurent sur la liste de surveillance niveau 2 de l’ONUDC, et un seul pays, l’Erythrée, est encore sur la liste rouge. Selon Anti-Slavery International, en 2020, 54 % des personnes exploitées en Afrique le sont pour rembourser des dettes. L’ONG compte « au moins 400 000 femmes victimes d’exploitation sexuelle », avec 21 % de filles de moins de 18 ans. Un chiffre qui représente 8 % de l’exploitation sexuelle de mineures dans le monde.
Selon les derniers chiffres, bien que la République démocratique du Congo enregistre à elle seule plus d’un quart des victimes en Afrique, « la tendance est à la baisse », selon l’ONUDC. Il existe de moins en moins d’enfants soldats et le trafic d’humains dans le pays commence à baisser. Au Ghana, un grand bond vers la répression de l’esclavage moderne a été observé ces dernières années. Selon l’International Justice Mission (IJM), l’intervention des forces de l’ordre a fait baisser de 13 % le trafic d’humains et le travail forcé de mineurs dans le pays.