L’Union européenne a ouvert ses frontières pour les réfugiés ukrainiens, fuyant leur pays en guerre. Mais elle ne fait pas preuve de la même générosité envers d’autres demandeurs d’asile.
La situation en Ukraine constitue indéniablement un tournant décisif pour la gestion des déplacements des populations en exil, qui sont au nombre de 84 millions dans le monde, selon le HCR.
En effet, la décision a été prise le 4 mars 2022 par l’Union européenne (UE) d’activer pour la première fois de son histoire un dispositif de 2001 visant à accorder une protection temporaire en cas d’afflux massif de migrants. Il s’agit d’un grand pas vers une meilleure protection des migrants en situation de crise.
En fait, depuis les années 1990, l’asile n’est vu que sous le prisme de la lutte contre l’immigration irrégulière. La crise syrienne illustre parfaitement cette vision. Afin de lutter contre l’immigration irrégulière, l’UE avait conclu un accord avec la Turquie en mars 2016 visant à bloquer d’une part des demandeurs d’asile fuyant la Syrie et l’Afghanistan et transitant par ce pays, et d’autre part de renvoyer tous les nouveaux migrants en situation irrégulière qui en partent pour gagner les îles grecques.
Avec la décision de mars 2022 donc, la gestion de l’asile sous le prisme de la lutte contre l’immigration irrégulière vient d’être écartée au profit d’un accueil des populations civiles fuyant l’Ukraine. Toutefois, la portée de cette réponse est limitée quant à la protection effective de certains migrants.
En effet, l’article 2 de cette décision prévoit d’introduire une protection temporaire pour les bénéficiaires, notamment les Ukrainiens, les résidents permanents, les réfugiés, les apatrides et leurs familles]. Cela exclut d’emblée les autres, dont les étudiants étrangers subsahariens, quand ils réussissent à franchir les frontières de l’UE. Leur sort est laissé à la discrétion des pays membres de l’UE, qui peuvent les rapatrier vers leur pays d’origine ou leur conférer une protection (temporaire ou internationale).
Il en ressort donc une protection à géométrie variable pour des populations civiles dans un contexte de conflit international et de violences généralisées.
On assiste déjà à des pratiques discriminatoires aux frontières de l’Ukraine et des pays membres de l’Union européenne dans l’accueil des populations civiles fuyant les violences. Cela nous plonge dans une réflexion sur les réponses du droit international et des politiques des États.
Mon co-auteur, Issiaka Mandé et moi-même sommes des spécialistes des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées au Canada et à l’international, et membres du comité directeur de l’OMIRAS et du Giersa.
Un cas belge exemplaire dans la gestion de la crise syrienne
Cette protection accordée aux Ukrainiens contraste avec les récentes décisions rendues par les juridictions européennes portant des demandes de visas humanitaires de Syriens fuyant les conflits.
On peut prendre pour exemple l’arrêt rendu par la Cour (grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne) le 7 mars 2017 dans l’affaire X et X contre État belge. Un couple marié — ainsi que leurs trois enfants en bas âge, tous de nationalité syrienne et vivant à Alep ont, en exil, présenté auprès de l’ambassade de Belgique au Liban des demandes de visas pour raisons humanitaires. Ils se basaient sur l’article 25 du code des visas et comptaient obtenir le statut de réfugiés dès leur arrivée en Belgique.
L’interprétation retenue est que si la demande porte sur le visa humanitaire avec intention de présenter une demande d’asile, c’est le droit belge qui s’applique et non le droit de l’UE. Ces Syriens voulaient ainsi exercer leur droit de quitter leur pays en guerre. Une fois cette étape franchie, ce couple et leurs enfants présenteraient une demande d’asile en vertu du droit belge et du droit de l’UE en vigueur. Cette demande pourrait être acceptée ou refusée par les autorités belges. Mais c’est cette intention de présenter une demande d’asile en Belgique, une fois sur place, qui fonde la décision de la CJUE quand bien même la demande visait une protection contre le risque de traitements inhumains et dégradants Syrie.
Les incohérences de la communauté internationale
Face à la tragédie humaine en Ukraine, les pays tentent d’organiser des réponses en proposant d’offrir l’accueil et l’asile à ces populations ou encore de rapatrier d’urgence leurs ressortissants. Un élan de solidarité qui traduit des valeurs humaines sur lesquelles s’appuie la communauté internationale.
Mais un regard sur les réponses apportées aux millions de personnes en déplacement, notamment aux Yémenénites, aux Rohingyas en Birmanie, aux Vénézuéliens en Colombie, aux réfugiés en Ouganda, en Éthiopie, au Tchad, en République démocratique du Congo, aux réfugiés et déplacées en Irak et aux réfugiés syriens, nous emmène à interroger certaines pratiques étatiques. Celles-ci laissent des millions de déplacés sans aucune garantie de leurs droits fondamentaux. Par exemple, les migrants qui subissent des violences massives en Libye ne peuvent pas se rendre en Europe pour y présenter des demandes d’asile.
Le droit de quitter tout pays dans lequel sa vie ou sa dignité est menacée et le droit de rechercher asile doivent être garantis aux personnes qui fuient les persécutions et les violences dans un contexte de conflit, sans aucune discrimination liée à leur statut juridique.
Il est unanimement reconnu en droit international qu’aucun État ne doit renvoyer des personnes vers un pays où elles risqueraient de subir de la torture, des traitements inhumains et dégradants en application du principe de non-refoulement de la Convention contre la torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Ansi, bloquer les migrants aux portes de l’Europe dans ce contexte de conflit en application des politiques de refus d’entrée de l’UE, est une limite importante à ce principe cardinal.
Ainsi, nous considérons que la gestion de l’asile par la communauté internationale en général, et par l’UE en particulier, est loin de garantir une protection des déplacés fuyant les conflits suivant une approche inclusive. Les prochains développements que connaîtra cette crise en Ukraine nous permettront d’attester de l’efficacité de la protection temporaire.
Ndeye Dieynaba Ndiaye, Professeur de droit des migrations, Université du Québec à Montréal (UQAM) and Issiaka Mandé, Professeur, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.