La chanteuse française Yseult assure que la Belgique assume son passé colonial. Mythe ou réalité ? Depuis juin 2020, le royaume semble avoir un autre regard sur cette période de son histoire.
Dans le quotidien anglais The Guardian, la chanteuse française Yseult affirme avoir quitté l’Hexagone pour poser ses valises à Bruxelles. La raison ? En Belgique, assure-t-elle, « les habitants accueillent la diversité et assument leur passé colonial, ce qui est encore un sujet tabou en France ». Depuis cette sortie médiatique, l’artiste française est raillée sur les réseaux sociaux. Les internautes l’accusent notamment de s’être fiscalement exilée en Belgique et assure que Bruxelles n’assume pas plus que la France son passé colonial. Qu’en est-il vraiment ?
Tout d’abord, si l’on considère que la Belgique assume son passé colonial, cela n’a pas toujours été le cas. Il a fallu attendre juin dernier pour qu’une commission parlementaire s’intéresse à ce passé. Tous les partis du parlement belge, à l’exception de l’extrême droite du Vlaams Belang, ont décidé de créer cette commission parlementaire pour la rentrée 2020.
Les statues de Leopold II déboulonnées
Le rôle des élus est de réétudier le rôle de la Belgique pendant la période coloniale, jusqu’à l’indépendance du Zaïre le 30 juin 1960. Congo, mais aussi Rwanda et Burundi font partie des dossiers étudiés par les parlementaires depuis. Une décision motivée par le mouvement Black Lives Matter, qui avait provoqué un tremblement de terre mondial : des dégradations de statues, qui faisaient référence à l’époque coloniale belge, avaient été observées dans tout le pays. Notamment celles de Leopold II.
Depuis, Bruxelles tente de se réintéresser à son passé colonial et de proposer des actes symboliques. Comme la ville a pu le faire avec le tunnel Léopold II, renommé en tunnel… Annie Cordy. C’était sans oublier les accusations de racisme envers la chanteuse belge et son célèbre tube « Chaud cacao ».
Plus sérieusement, le roi Philippe de Belgique s’est exprimé publiquement sur le sujet. En juin 2020, au moment des déboulonnements de statues, le souverain prenait la parole pour affirmer : « A l’époque de l’Etat indépendant du Congo, des actes de violence et de cruauté ont été commis, qui pèsent encore sur notre mémoire collective ».
Comme l’indique Vincent Dujardin, professeur d’histoire contemporaine à l’UCL, à Paris-Match, c’est « la première fois qu’un chef de l’Etat belge reconnaît ainsi publiquement les exactions et les abus durant le passé colonial, que ce soit sous l’EIC ou sous le Congo belge ». Un message à destination des Congolais, puisque le roi avait écrit au président à Kinshasa, mais aussi aux Belges « en disant que ces blessures du passé sont ravivées par les discriminations encore trop présentes dans nos sociétés ».
Un roi qui, pour la première fois, assume
Certes, la Belgique a débuté un travail sur soi-même. « Il est évident que la reconnaissance du volet sombre du passé colonial facilite le cheminement vers une mémoire apaisée, qui libère et facilite le dialogue », poursuit Vincent Dujardin. Mais on est encore loin d’un pays qui assumerait totalement son passé colonial, comme l’indique Yseult. La France, via Emmanuel Macron, a d’ailleurs à plusieurs reprises exprimé des regrets sur cette même période, en Algérie notamment.
Entre 2000 et 2001, une commission d’enquête parlementaire belge avait déjà travaillé sur l’assassinat le 17 janvier 1961 de Patrice Lumumba, ex-premier ministre du Congo. Une commission qui avait conclu à la « responsabilité morale » de certains acteurs belges.
La Belgique, donc, poursuit son travail. Comme Paris, Bruxelles fait appel à des historiens, mais également à des politologues et des juristes. En tout, dix experts ont été désignés dans la commission parlementaire consacrée à cette étude sur le passé colonial. Un des membres de la commission, au moment de son ouverture, doutait cependant des futurs résultats. « Cet exercice est important mais ambitieux et délicat. A-t-on une chance de réussir ? », demandait-il.
Le royaume est en tout cas prêt à faire son introspection… « Il est temps que la Belgique fasse la paix avec son passé colonial. Le Parlement est le forum idéal pour mener à bien l’enquête et le débat sociétal à ce sujet. Je discuterai avec les chefs de groupe sur la façon dont nous pourrons rassembler des experts pour mettre en place une commission de vérité et réconciliation », avait initié l’élu Patrick Dewael, président de la Chambre (Open VLD). Un travail qui portera ses fruits ? Réponse dans quelques mois.