La patience de la Fédération sénégalaise de football et la stabilité du banc expliquent les succès du Sénégal dans les compétitions africaines.
Les équipes nationales de football du Sénégal ont remporté quatre trophées continentaux en un an – Coupe d’Afrique des nations (CAN 2022) au Cameroun, Championnat d’Afrique des nations (CHAN 2023) en Algérie, CAN beach soccer au Mozambique et CAN des moins de 20 ans en Egypte. Souleymane Diallo, enseignant-chercheur, responsable des cours de football à l’Institut national supérieur de l’éducation populaire et du sport (INSEPS) de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar explique à Assane Diagne de The Conversation Afrique les raisons de ces performances.
Quel est l’élément déclencheur du succès du Sénégal ?
L’élément déclencheur peut être situé à plusieurs niveaux. Depuis l’arrivée d’Augustin Senghor à la présidence de la Fédération sénégalaise de football (FSF), on a assisté à une structuration du football orientée sur quatre volets essentiels.
D’abord au niveau de l’organisation, on a vu que la FSF a une maîtrise des compétitions africaines. Auparavant, le Sénégal partait aux compétitions africaines pour une découverte ou bien il restait longtemps sans y aller.
Depuis qu’on a réglé le problème de la participation, on a pu maîtriser les facteurs qui tournent autour de la compétition. Cela a facilité une maîtrise de la logistique. Pour gagner en Afrique, celle-ci est nécessaire. A cela s’ajoute l’aide importante de l’Etat du Sénégal qui affrète un vol spécial pour assurer le déplacement des joueurs. En Afrique, les déplacements sont très difficiles.
On peut également souligner la politique mise en place par la FSF qui demande aux différents staffs techniques d’avoir une complémentarité, de s’imbriquer. Des joueurs qui étaient chez les moins de 20 ans se retrouvent ainsi chez les moins de 23 ans. Chez les moins de 17 ans aussi, on trouve des moins de 15 ans. A travers l’organisation mise en place, on forme un athlète qui va être dans la continuité, dans la recherche de la performance par le biais de cette politique visant à mettre les staffs ensemble.
Distinguez-vous d’autres facteurs de réussite ?
L’autre facteur, ce sont les infrastructures qui jouent un rôle dans la recherche de performance. L’existence de deux centres techniques à Toubab Dialaw et à Gueréo, deux villages de la côte Altantique, au sud de Dakar, permet aux différentes sélections nationales d’avoir un temps suffisant de regroupement mais aussi des terrains adéquats pour pouvoir former les joueurs. Ces deux centres techniques nationaux ont joué un rôle très important dans ces performances auxquelles nous assistons.
Il ne faut pas négliger l’apport des académies. Par exemple, Génération Foot compte sept pensionnaires dans l’équipe des moins de 20 ans et quatre dans l’équipe nationale locale qui a remporté le CHAN. Diambars a plus de 5 pensionnaires chez les moins de 17 ans. Ces académies jouent un rôle important dans le développement du football sénégalais. Elles sont sont dotées de bonnes infrastructures.
Autre facteur, l’existence de terrains de proximité un peu partout – surtout à Dakar – qui permettent aux garçons de pratiquer le football.
Soulignons aussi l’apport des écoles de football qui se sont organisées en une association appelée Coordination nationale des écoles de football (CONEF) laquelle organise des compétitions. Beaucoup de joueurs sénégalais évoluant en Europe sont issus de ces écoles de football. C’est le cas de Sadio Mané, le meilleur joueur africain. La plupart de nos joueurs finissent leur formation en Europe. Le Sénégal est la troisième nation africaine qui exporte le plus de joueurs en Europe. C’est la preuve de la bonne qualité de leur formation.
Qu’en est-il du côté de l’encadrement ?
La formation des cadres y a également contribué. Dans ce domaine, le Sénégal est cité partout. Pour preuve, l’expérimentation d’une formation de masse des instructeurs de la FIFA en licence organisée au Sénégal dont j’ai eu la chance de faire partie. En 2021, on a formé plus de 1.000 entraîneurs.
L’autre point important, c’est la patience au niveau de la FSF. On note une certaine stabilité sur les bancs des différentes équipes nationales. Cela veut dire que les dirigeants font confiance aux entraîneurs, parce que la performance sportive est construite dans la durée. Citons l’exemple de Aliou Cissé qui est à la tête de la sélection nationale depuis 8 ans. Auparavant, il l’était chez les moins de 23 ans. C’est le preuve d’une certaine continuité et d’une patience de la part des décideurs. Depuis 12 ans, les mêmes personnes s’occupent des destinées du football sénégalais à la FSF.
Il faut enfin retenir l’apport important des clubs qui font un travail en essayant de recruter de très bons entraîneurs, de s’organiser en leur sein, en se dotant de leurs propres infrastructures. Ces mêmes clubs fournissent des joueurs aux différentes sélections nationales.
Peut-on aujourd’hui parler de modèle sénégalais de formation en football?
Le modèle est bâti sur la durée. Pour qu’on soit un modèle, il y a plusieurs paramètres dont il faut tenir compte. L’élément qui peut sembler déterminer le modèle sénégalais est la stabilité financière, la stabilité au niveau des dirigeants, des entraîneurs et des joueurs.
La plupart des joueurs sont les mêmes joueurs qui ont fait les petites catégories jusqu’à l’équipe première. C’est le cas de Crépin Diatta et de Sadio Mane. On note une stabilité à tous les niveaux (dirigeants, entraîneurs, joueurs). Le modèle est basé sur la stabilité et la confiance.
Comment le Sénégal peut-il continuer à perpétuer ses bons résultats pour les générations futures ?
Pour moi, le Sénégal peut continuer à maintenir ses résultats chez les générations à venir en consolidant les acquis et en conservant cette stabilité à tous les niveaux. Pour cela, il faut créer une Académie fédérale qui pourra prendre en ligne de mire ces pré-requis que le football a eus ces temps derniers.
Il faut très tôt former des jeunes dans cette direction en les mettant dans ces conditions de performance, en leur montrant que le Sénégal est arrivé à un niveau où on ne doit pas descendre la barre. Il faut formater le footballeur sénégalais sur la gagne pour aller en compétition. On ne va plus dans les compétitions pour apprendre. On y va pour gagner. Pour cela, il faut préparer le footballeur sénégalais, parce qu’on a pris trop de temps pour asseoir ces performances. Maintenant, on va prendre plus de temps pour consolider ces acquis. C’est pourquoi on va mettre en place une académie fédérale clubs sénégalais.
Alors que les équipes nationales brillent sur le plan continental, les clubs sénégalais sont presque absents de compétitions africaines. Comment expliquez-vous ce paradoxe?
Chaque année, les clubs sénégalais perdent la plupart de leurs meilleurs joueurs au profit de championnats commes ceux de la Guinée, de la Mauritanie et du Maroc. Ces clubs doivent mettre en place une politique pour les retenir. Pour cette politique, le volet financier semble important.
Ce paradoxe est en définitive facile à expliquer, parce que le football, c’est du business. Un club de football est une entreprise qui permet de gagner sa vie. Si on vous donne un contrat dans un championnat étranger, même s’il n’est pas relevé, vous êtes obligé de partir, parce que c’est la recherche de l’argent.
Un volet essentiel est d’ores et déjà réglé : le championnat sénégalais a des joueurs compétitifs. Ce qui reste à faire, c’est que les clubs travaillent pour pouvoir les retenir. L’État et les sociétés nationales doivent y participer en aidant les clubs sur le plan financier.
La société sénégalaise est conçue de telle sorte qu’il y a une dimension sociale autour du football. Vous ne pouvez pas retenir un joueur qui a un contrat qui lui permet de gagner sa vie. Si, pour des raisons sportives, vous voulez le retenir, cela peut créer des problèmes dans les clubs. C’est pourquoi pour les aider, les dirigeants sont obligés, à la fin de chaque compétition, de libérer les meilleurs joueurs.
Souleymane Diallo, ensignant-chercheur, Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.