Ce vendredi, l’Union européenne a confirmé son aide de 150 milliards d’euros, répartis sur sept ans, en direction de l’Afrique. D’où vient cet argent ? Et l’UE pourra-t-elle battre la Chine sur le terrain de l’aide financière ?
Global Gateway — comprendre « Portail mondial ». Tel est le nom de la nouvelle initiative européenne de financement en Afrique. « Un plan européen anti-Nouvelle route de la soie chinoise », selon la presse. Ce plan de financement, d’un montant de 150 milliards d’euros, est supposé permettre à l’Europe de rivaliser avec les investissements directs de la Chine en Afrique.
L’annonce du projet de financement a eu lieu ce vendredi 18 février, lors du 6e Sommet Union européenne–Union africaine (UE-UA 2022). La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, précise d’ailleurs que l’UE vise à « investir au moins 20 milliards d’euros par an sous forme de dette, de capitaux propres et de garanties ».
Une annonce qui inquiète surtout dans la zone CFA, dont la dépendance au Trésor public français pour les liquidités l’emporte sur la sécurité financière, alors que l’hyperinflation menace le peu de souveraineté des banques sous-régionales africaines.
Il s’agit, également, d’une annonce qui préfigure une reprise des investissements européens en Afrique. Ces derniers ont connu une chute remarquable depuis le début de la crise sanitaire de la Covid-19. Une baisse des aides européennes qui a permis à plusieurs concurrents de se positionner, parmi lesquels la Chine, mais également les Etats-Unis, la Turquie, la Russie, ainsi que le Brésil et l’Inde dans une moindre mesure.
Des contours encore très flous
La provenance de ces 150 milliards d’euros interroge. Rien n’indique encore quel pourcentage de la somme proviendra des coffres de l’UE et combien sera avancé par les investisseurs privés. On peut d’ores et déjà imaginer que les fonds seront gérés par la Banque européenne d’investissement (Groupe BEI) et/ou par la Banque centrale européenne (BCE). Néanmoins, les participations individuelles des Etats et investisseurs privés européens n’ont pas encore été annoncées.
Le nouveau président de l’Union africaine (UA), le chef de l’Etat sénégalais Macky Sall, a salué l’initiative européenne. « Nous avons besoin d’une nouvelle relation basée sur une vision partagée du partenariat plutôt que de l’aide », a déclaré Macky Sall.
Les dirigeants présents au Sommet UE-UA n’ont pas, non plus, précisé comment les fonds seraient structurés. Von der Leyen a simplement annoncé qu’avec « des comptes-rendus réguliers, il sera possible de vérifier les financements alloués et les fonds disponibles ».
Un responsable de l’UE a déclaré à Bloomberg : « Nous sommes confrontés à une tension constante, et tiraillés entre la surenchère et la modération des attentes du public ». Et de poursuivre : « Notre programme d’investissement répond aux besoins et aux demandes que nous avons entendus de la part de nos partenaires africains. Nous pensons que c’est une offre positive et bonne. Et je dirais qu’au-delà de cela, nous n’avons pas peur d’un peu de concurrence ».
Les fonds chinois, concurrents directs de l’UE
La concurrence à laquelle l’UE fait référence est la Chine. Même si la concurrence est déséquilibrée : des enquêtes commandées par la Commission de l’UE montrent que le bloc européen ne se place qu’au sixième rang en termes d’investissements en Afrique, derrière la Chine, les Etats-Unis, la France, l’OMS et l’ONU.
Selon la China Africa Research Initiative (CARI), la Chine a accordé 153 milliards de dollars aux Etats africains entre 2000 et 2019. Des prêts d’investissement et des financements d’entreprises publiques surtout. La Chine est ainsi devenue la référence en termes d’investissements étrangers directs sur le continent.
Mais face aux réticences de pays craignant d’être pris dans le « piège de la dette » chinoise, Pékin a annoncé un changement de mode de financement. En marge du Forum de la coopération sino-africaine (FOCAC), Xi Jinping a, certes, promis 40 milliards de dollars supplémentaires d’investissements directs. Cependant, le chef de l’Etat chinois a également promis 1 milliard de vaccins contre la Covid-19, dont le cinquième aurait déjà été délivré.
L’UE, quant à elle, s’est engagée à fournir 450 millions de doses de vaccins aux pays africains avant juin. Toutefois, aucun début d’accord n’a été abordé quant aux droits de propriété intellectuelle pour la production des vaccins en Afrique. Un point sur lequel la Chine et les Etats-Unis ont un avantage, alors que quatre pays africains — Algérie, Egypte, Nigéria et Afrique du Sud — ont commencé à produire des vaccins chinois. Et que seul le Sénégal (en partenariat avec le Rwanda et l’UE) a obtenu une licence pour produire des vaccins BioNTech.
Le redoutable « piège de la dette » chinoise
Selon Michael Chege, professeur kényan d’économie politique, « la plupart des pays africains se tourneront vers l’UE et vers cette initiative ». « Ce n’est pas parce que l’équivalent chinois (Nouvelles routes de la soie, ndlr) se tarira, mais parce que le fardeau actuel de la dette chinoise fait peur à beaucoup de pays », explique le professeur.
En effet, avec la Zambie qui ne peut plus rembourser la dette chinoise et l’Angola qui a dû céder certains de ses avoirs souverains, le « piège de la dette » chinoise embête plus d’un pays.
Mais selon plusieurs observateurs avisés de la Chine, si l’UE cherche à financer directement les entreprises publiques en Afrique, les entreprises chinoises sauront ajuster leur offre et rentrer dans la compétition.
Pour d’autres analystes, comme Olumide Abimbola, directeur de l’Africa Policy Research Institute (APRI), c’est surtout le manque de transparence quant à la distribution des fonds européens promis à l’Afrique qui nuira à l’essor de Global Gateway.
« Il y a encore beaucoup d’inconnues dans l’équation de l’UE, qui n’a pas consulté ses partenaires africains avant d’annoncer ce plan de financement », estime Abimbola. « C’est comme annoncer au monde entier que vous voulez raser la tête de quelqu’un sans son consentement, ni même être sûr que vous avez l’outil pour faire le rasage », ironise-t-il.
Des « têtes qui ne seront pas rasées », seront celles des peuples du Mali, du Burkina Faso, de la Guinée ou encore du Soudan, dont les dirigeants n’ont pas été conviés au Sommet UE-UA 2022.