Deux semaines après le forum militaire russo-éthiopien et presque un mois après la visite de la diplomatie éthiopienne à Moscou, la Russie pourra-t-elle sauver Abiy Ahmed ?
L’armée éthiopienne a signé plusieurs accords militaires avec la Russie. La ministre de la Défense, Martha Lewig, a annoncé la nouvelle, lundi dernier. Cependant, les évènements s’accélèrent pour le gouvernement d’Abiy Ahmed. Depuis plusieurs semaines, pas un jour ne passe sans que la sécurité et la diplomatie éthiopiennes ne soient mises à mal. Et face au black-out médiatique et à l’absence de journalistes internationaux dans le pays, il est difficile de savoir comment l’Ethiopie gère ses problèmes de sécurité.
D’un côté, l’alliance russo-éthiopienne n’a pas manqué de provoquer la « déception » du Caire. L’Egypte est surtout intéressée par la poursuite des discussions autour du Grand barrage de la renaissance (GERD) éthiopien. D’un autre côté, la communauté internationale se tient clairement du côté de l’Occident quand il s’agit de l’Ethiopie. Le pays est sous pressions française, égyptienne et américaine alors que la saguinaire guerre du Tigré inquiète toujours.
Confronté à ces deux délicats dossiers, le Premier ministre Abiy Ahmed a enchainé les tentatives diplomatiques, en vain. Boycotté désormais par l’Union européenne (UE), les Etats-Unis et Israël – un allié de longue date –, et sans soutien à l’ONU, Abiy Ahmed a été réélu en juin dernier après des élections législatives controversées. Malgré cette victoire électorale, le Premier ministre reste toujours isolé. Toutefois, le soutien chinois, basé sur les accords économiques bilatéraux, a permis à l’Ethiopie de temporiser la crise. Et l’intervention russe multiforme pourrait permettre au Premier ministre éthiopien de retrouver un peu de sérénité.
Les revers d’Abiy Ahmed au Tigré
En son propre pays, Abiy Ahmed voit le vent tourner : les revers subis dans la guerre du Tigré n’y sont pas pour rien. Après la reprise de Mekele par le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT), le gouvernement éthiopien a essuyé de nombreuses pertes dans le nord. Le FLPT a repris une large portion du territoire conquis par les légions d’Amhara depuis novembre 2020.
La retraite et les nombreux appels à un cessez-le-feu par le gouvernement fédéral ont également provoqué l’ire des régions militarisées. Entre Amhara et l’Oromia, des dizaines de milliers de miliciens se déplacent, depuis vendredi dernier vers la frontière tigréenne. Abiy Ahmed a appelé maintes fois au calme, sans succès. Car l’armée fédérale voit désormais les armées régionales traverser le pays vers le nord, sans pouvoir faire quoi que ce soit. La complicité du Premier ministre dans cette guerre civile, devenue un conflit transfrontalier et maintenant une guerre ethnique, n’est pas exclue. Beaucoup de diplomates ont témoigné de la volonté d’Abiy Ahmed d’« exterminer » les Tigréens.
La Russie, protectrice de l’Ethiopie à l’ONU ?
Mais les enjeux sont-ils désormais différents ? Avec le soutien de la Russie, Ahmed pourrait bien obtenir, d’une certaine façon, un passe-droit diplomatique pour continuer sa guerre. Cette nouvelle alliance pourrait en tout cas permettre au Premier ministre éthiopien de ne pas se soumettre au Soudan ni à l’Egypte. L’Etat éthiopien est désormais plus belliqueux que jamais, motivé par le soutien russe.
Du côté russe, comme du côté de la Chine, l’alliance avec l’Ethiopie est avant tout une question d’intérêts. La Russie peine à délivrer ses cargaisons d’armes en Afrique de l’Est depuis que le Soudan a remplacé le projet de port militaire russe par un port égyptien. Et à l’exception du Soudan du Sud et de la Centrafrique, les embargos onusiens empêchent la Russie de vendre ses armes en direct.
Pour protéger ses intérêts commerciaux, Moscou a aussi proclamé haut et fort, depuis plusieurs semaines, qu’il n’hésiterait pas à user de son véto au Conseil de sécurité des Nations unies pour éviter des sanctions à l’Ethiopie. Un investissement diplomatique que la Russie a entrepris avec ses premiers alliés du Sud, à savoir la Syrie et l’Iran.
La Chine, elle, est diplomatiquement liée avec l’Ethiopie depuis plusieurs années. Pékin détient une partie de la dette éthiopienne, qui représente le quart du PIB du pays africain. Autant dire qu’autour de ces intérêts économiques, la Chine n’a pas de souci à se faire quant à ses relations avec Abiy Ahmed et n’est pas obligée de prendre position pour ce dernier. Xi Jinping a d’ailleurs été plutôt prudent au moment d’évoquer les délicats dossier du Tigré ou du GERD. La diplomatie chinoise est étonnamment neutre, là où la Russie a lancé une offensive qui permet clairement à l’Ethiopie de sortir de l’isolement.