En Egypte, le gouvernement avait annoncé une croissance économique de 9,8 % au cours du second trimestre. Pourtant, la livre égyptienne est plus vulnérable que jamais. La fin du « miracle économique » vendu ces dernières années par l’Etat ?
Depuis le début des années 2000, et encore plus depuis Abdel Fattah al-Sissi, l’Egypte s’est vendue comme un véritable « miracle économique » à qui voulait l’entendre. Et ce, grâce à communication bien ficelée et à des indicateurs économiques positifs. Il faut dire que le pouvoir peut compter sur une machine de propagande performante, mise en place par le président égyptien et ses équipes, mais surtout sur le soutien des médias occidentaux qui, s’appuyant sur les bonnes relations entre l’Occident et le dictateur égyptien, font aujourd’hui l’éloge d’un régime pourtant despotique qui fait fi des droits humains.
En octobre dernier, le gouvernement égyptien se targuait d’une croissance économique s’élevant à 9,8%, contre 0,7 % un an plus tôt, pour la période juillet-décembre. Alors que les économistes s’attendaient à une chute de la monnaie nationale, la livre égyptienne, la situation avait finalement été positive. La livre égyptienne était, selon les discours officiels, l’une des monnaies les plus stables dans le monde, surtout en période de crise sanitaire. Alors que « la plupart des banques centrales ont vu leurs monnaies fortement dévaluées, à -15 %, -20 % ou -30 % », déclarait le gouverneur de la Banque centrale égyptienne Tarek Amer, « nous avons traité la crise financière différemment ».
Le miracle n’en serait donc pas un et les économistes égyptiens auraient trouvé une parade à la crise. En voulant traiter la crise « différemment », il s’agissait pour l’Egypte de se séparer de toutes les réserves de devises en obligations, afin d’éviter, à n’importe quel prix, que la livre égyptienne ne soit dévaluée. Une stratégie visant à rassurer les investisseurs étrangers. Mais surtout, une stratégie qui n’a pas fonctionné autant que Tarek Amer ou son gouvernement ne l’espéraient.
Des bons du trésor qui font frémir le FMI
En effet, certains investisseurs étrangers deviennent prudents quant à l’achat de bons du trésor (BT) en Egypte. Le marché est devenu « trop nerveux », selon Goldman Sachs. En effet, alors que la valeur de la livre égyptienne est aujourd’hui largement supérieure à ce qu’elle était en janvier 2021, elle avait atteint sa valeur la plus basse entre le 27 septembre et le 4 octobre.
Une activité de spéculation, sans doute, mais de quoi faire fuir les investisseurs étrangers, dont une partie ont décidé de vendre l’équivalent de 3,75 milliards de dollars en BT entre octobre et novembre. Une énorme chute, car l’Egypte comptait 24,1 milliards de dollars en BT détenus par des étrangers, faisant du pays, selon le FMI, « un favori parmi les investisseurs dans les marchés émergents ».
Pour les spécialistes, la circulation de la livre égyptienne et le pouvoir d’achat en Egypte sont grandement menacés par les fausses déclarations du gouvernement. Alors, certes, les BT égyptiens vendus ont rapporté 13,25 % de gains supplémentaires en moyenne sur l’année 2021. Mais ces fonds, vendus par des étrangers aux étrangers, ne rapportent à l’Etat que 20 % d’impôts sur les revenus, qui ne sont pas toujours perçus.
L’Egypte ne pourra pas maintenir le taux de change
Selon la société d’investissement Standard Life Aberdeen (abrdn), « le problème n’est pas de savoir si les fonds sortiront d’Egypte, mais comment l’Egypte répondra à d’importants besoins de financement futurs ». « La question clé est de savoir s’ils sont disposés et capables de maintenir le taux de change, car c’est pourquoi cela a été le commerce le plus sensationnel pour les marchés émergents – parce qu’ils ont maintenu le taux de change stable et payé des taux extrêmement élevés sur leurs obligations », estime Viktor Szabo, gestionnaire de portefeuille chez abrdn.
Le problème ne s’arrête pas, selon une « demi-douzaine de spécialistes » interrogés par Reuters, à l’implosion imminente et à la fragilité de la livre égyptienne. Les réserves en devises de l’Egypte se situent aujourd’hui aux alentours de 114 milliards de dollars, soit moins de la moitié de l’année dernière.
Une catastrophe pour le pays qui compte de plus en plus sur les fonds étrangers, qui proviennent rarement, ou jamais, en liquidités ou en investissements directs. Et si l’on se demande où va l’argent, le président Abdel Fattah al-Sissi pourra répondre. Une rénovation couteuse des infrastructures urbaines, un programme spatial, et la construction d’une ville dans le Sinaï, avec un château de la taille de l’égo du président, évidemment.
Les taux de chômage montent, l’agriculture et l’industrie destinés au marché national baissent, les marchandises exportées augmentent, les importations des produits de première nécessité également. Le « miracle » égyptien d’Abdel Fattah al-Sissi ne serait-il finalement qu’un mirage ? Avec un taux de pauvreté estimé à 29,7 %, contre 16,7% en 2005, l’Egypte semble bien plus mal en point qu’elle ne le laisse paraître.